Depuis l’annonce officielle de la Nintendo Switch 2, un sujet fait grincer bien des dents : le prix des jeux. Avec des titres majeurs affichés à 79,99 € voire 89,99 € en physique, la nouvelle console de Nintendo marque un tournant, non seulement en termes de puissance, mais aussi de stratégie commerciale. Alors que certains crient à la simple inflation abusive, la réalité est bien plus complexe. Car derrière ces étiquettes salées se cache une évolution technologique majeure : la fin des cartouches classiques, visiblement remplacées par un support basé sur la microSD Express, embarquant une interface PCIe/NVMe – autrement dit, des performances proches d’un SSD, mais aussi un coût de production bien plus élevé. À cela s’ajoutent des facteurs économiques globaux : hausse des coûts de développement, intégration de technologies comme le DLSS de Nvidia, et une volonté claire de Nintendo de valoriser davantage ses jeux « premium ». Mais est-ce que tout cela justifie vraiment un tarif de 80 à 90 € ? Pourquoi les éditeurs tiers, eux, continuent de proposer leurs jeux à des prix inférieurs ? Et comment Nintendo parvient-il à équilibrer rentabilité, image de marque et satisfaction des joueurs ? Plongée dans les coulisses d’un choix stratégique qui ne doit rien au hasard.
# Comprendre le « prix public conseillé »
Quand on parle du prix des jeux vidéo, il faut déjà faire une distinction essentielle : celle entre le prix public conseillé (PPC) — généralement fixé par l’éditeur ou Nintendo pour ses jeux maison — et le prix réellement appliqué en magasin. Le Prix Public Conseillé, aussi appelé Prix de Vente Recommandé (PVR), est un prix indicatif suggéré par l’éditeur ou le fabricant d’un produit — ici, Nintendo ou tout autre éditeur de jeux vidéo — à destination des distributeurs, revendeurs et consommateurs. C’est un repère, pas une obligation légale. C’est important de bien le comprendre et le prendre en considération.
Le PPC n’est pas fixé au hasard. Il est généralement calculé en tenant compte de :
Il s’agit donc d’un équilibre économique théorique qui permettrait à chaque acteur de la chaîne de gagner sa vie correctement, si le jeu était vendu à ce prix-là . Alors pourquoi certains magasins ne le respectent pas ? Parce que rien ne les y oblige ! En France, la vente à perte est interdite, mais les grandes surfaces peuvent proposer des prix cassés, en rognant leur marge (par exemple en vendant un jeu 55 € au lieu de 80 €), car leur objectif ici est d’utiliser le jeu vidéo pour drainer du trafic en magasin. Ni plus, ni moins.
Vous comprenez donc aisément pourquoi les magasins spécialisés, eux, doivent s’aligner sur le PPC, faute de quoi ils ne dégageraient plus aucune marge, voire perdrait de l’argent, d’autant plus s’ils devaient acheter directement leurs jeux via un grossiste. Et en dehors de grosses chaines comme Micromania, toutes les boutiques ou presque ne générant pas assez de volume d’achat doivent s’en remettre à l’achat via un grossiste, ce qui explique aujourd’hui la disparition quasi totale de ces boutiques qui ont bercées notre enfance.
Ce PPC, souvent de 59,99 € sur Switch première du nom (69,99 € pour des jeux comme The Legend of Zelda : Breath of the Wild et Tears of the Kingdom, ou encore Super Smash Bros. Ultimate), monte désormais à 79,99 € voire 89,99 € sur certains titres Switch 2.
Le choix de la cartouche microSD Express : une avancée… qui a un coût
Dans le cas de la Nintendo Switch 2, cette tension autour du prix est d’autant plus marquée que Nintendo a fait un pari technologique fort : abandonner les cartouches traditionnelles pour adopter un nouveau support inspiré du format microSD Express. Contrairement à une simple carte mémoire, ces cartouches utilisent une interface PCIe couplée à la technologie NVMe, identique à celle des SSD hautes performances. Conséquence directe : des vitesses de lecture ultra-rapides, qui permettent de jouer directement depuis la cartouche sans installation, avec des temps de chargement quasi inexistants. En clair, la cartouche devient elle-même un mini SSD externe, rapide et plug & play. Mais bien évidemment, cette innovation a un prix.
Les coûts de fabrication de ces cartouches sont nettement plus élevés que ceux d’un Blu-ray classique utilisé sur PS5 ou Xbox, qui ne coûte que quelques centimes. Une cartouche Nintendo Switch 2 de 64 Go peut coûter jusqu’à 10–15 € pièce, ce qui pèse lourd dans la balance, surtout pour les éditeurs tiers qui doivent composer avec des marges réduites. Il convient de vous préciser que l’utilisation par Nintendo et les éditeurs d’une cartouche microSD Express pour vendre leurs jeux n’a pas été confirmé officiellement, mais le format Express qui semble exclusif sur Switch 2 (et utilisé, cette fois officiellement, comme support de sauvegarde/archivage), semble ne laisser strictement aucun doutes sur la question.
Pour Nintendo, ce choix s’inscrit dans une logique : offrir une expérience utilisateur fluide et immédiate, sans compromis sur les performances, tout en maintenant sa stratégie de console unique, portable/salon et en répondant à des obligations inhérentes au format hybride. Par exemple : impossible de proposer un vrai disque dur NVME soudé à l’intérieur de la console, pour des raisons à la fois énergétique (moins de batterie en mode portable), de chauffe, de prix et de durabilité (si le DD tombe en panne, c’est la console qu’il faut jeter, pas avec les cartouches microSD Express). Mais pour les consommateurs, cela se traduit aussi par un prix d’entrée plus élevé, en tout cas sur le support physique.
Jusqu’à ce jour, la Nintendo Switch était pour le moins illogique et anarchique sur la fixation du prix de ses jeux, car Nintendo vendait au même prix jeux sur cartouche physique et jeu téléchargeable (une aberration commerciale). C’est terminé avec la Nintendo Switch 2, car pour ce que l’on en sait aujourd’hui, le prix des jeux téléchargeables Nintendo sera inférieur de 10 € par rapport aux jeux physiques :
Une microSD Express de 256 Go coûtera 59,99 € lors du lancement de la console Nintendo Switch 2, le 5 juin 2025. Voici un tableau comparatif que nous avons réalisé pour vous permettre de comprendre :
On constate que le format microSD Express coûte presque 2 fois plus cher par Go que la microSD classique. Le Blu-ray est imbattable en coût, mais il est beaucoup plus lent et nécessite installation sur disque. Mais la différence est phénoménale. Le coût du support Switch 2 est donc significatif, surtout quand on veut livrer un jeu complet de 50 à 80 Go sur cartouche. Selon nos informations, une cartouche vierge de 64 Go coûterait à Nintendo environ 4 à 5 € brut (ce chiffre est sans marge, sans packaging, sans logistique, sans impression, sans TVA) et véritablement environ 9 à 10 € à produire, en comptant tout ce qui est matériel, logistique et marketing lié au support physique. Dans ce calcul, il reste à Nintendo :
Environ 30 à 35 € de marge nette par exemplaire vendu à 79,99 €, une fois la marge revendeur (environ 25 €) déduite, ce qui reste très rentable pour ses propres titres. Nintendo, grâce à ses volumes colossaux, peut probablement descendre sous les 10 € pièce, mais pas beaucoup plus bas, surtout avec ce type de technologies.
Le support physique Switch 2 est entre 20 et 50 fois plus cher à produire que celui de Sony ou Microsoft. Enfin il ne faut pas oublier l’éditeur qui est le grand perdant de ce choix fait dans le sens des joueurs (et non l’inverse comme nous avons pu le lire un peu partout), puisque pour lui, la production d’une cartouche coûte encore plus cher ! Voici un graphique représentant globalement ce que lui coûte la sortie d’un jeu physique sur Nintendo Switch 2, sachant que le royalties payé à Nintendo (droit d’exploitation en quelque sortes) est une estimation en fonction de ce qui se pratique usuellement :
Les mentions U1, U2, U3 sur les cartes microSD de retour sur les cartes MicroSD Express ?Â
Ces appellations faisaient partie de la norme UHS Speed Class, indiquant la vitesse minimale d’écriture soutenue, importante surtout pour l’enregistrement vidéo :
U1 = 10 Mo/s minimum (suffisant pour de la vidéo Full HD)
U2 = (peu utilisé, norme intermédiaire abandonnée)
U3 = 30 Mo/s minimum (recommandé pour la 4K)
Elles servaient à garantir que la carte pouvait écrire des fichiers vidéo en continu sans coupure, ce qui était essentiel pour les caméras, drones ou smartphones. La différence entre une carte microSD classique et une microSD Express est bien plus qu’une question de vitesse. Elle repose sur une évolution majeure de technologie. Les cartes microSD classiques utilisent le bus UHS-I ou UHS-II, basé sur une interface SD conçue initialement pour les appareils photo et les smartphones. Elles offrent des débits allant jusqu’à 104 Mo/s (UHS-I) ou 312 Mo/s (UHS-II). À l’inverse, les cartes microSD Express adoptent une toute nouvelle architecture : elles utilisent le bus PCIe (comme les SSD modernes) et le protocole NVMe, permettant d’atteindre des vitesses théoriques jusqu’à 985 Mo/s. Une avancée radicale, notamment pour des usages comme les jeux vidéo sur support physique (Comme la Switch 2) ou les caméras 8K.
Mais même si les classes U1 ou U3 sont techniquement obsolètes pour une carte microSD Express PCIe/NVMe, elles restent affichées sur les boites et ce pour plusieurs raisons : assurer la compatibilité descendante, guider les utilisateurs non experts (pour une stratégie de clarté et de marketing), et répondre aux normes de marquage de la SD Association. Nous avons préféré revenir sur ces termes, à la suite d’une discussion en interne sur les raisons de l’affichage du U1 sur la boite officielle, afin d’éclaircir les choses :
Influenceurs, sites d’informations : la malhonnêteté intellectuelle et l’autel du putalic
Arrivé à ce stade de l’article, vous l’aurez compris : le prix d’un jeu vidéo se divise aujourd’hui en deux logiques bien distinctes. D’un côté, il y a les revendeurs spécialisés — comme Micromania — qui appliquent le prix public conseillé (PPC) fixé par l’éditeur, tout simplement parce qu’ils n’ont pas d’autre choix économique : leur marge repose exclusivement sur la vente de jeux. De l’autre côté, on trouve les enseignes généralistes — Carrefour, Amazon, Leclerc, Cdiscount, Boulanger, FNAC… — qui, elles, cassent les prix. Elles le font légalement, parfois même jusqu’à la vente à perte, dans l’unique but de générer du trafic en magasin ou en ligne.
Ce phénomène n’est pas nouveau, mais il s’est massivement ancré dans les habitudes de consommation. Prenons un exemple concret : Mario Kart World, proposé par Nintendo à un PPC de 89,99 € au format physique, se retrouve très facilement à 69,99 € chez la plupart des grandes enseignes — soit 20 € de moins. Même constat pour Donkey Kong Bananza, vendu officiellement 79,99 €, mais affiché 59,99 € un peu partout. Une différence de prix frappante, d’autant plus surprenante que le développement sur Switch 2 a demandé à Nintendo bien plus de ressources techniques, de R&D, et un support matériel plus coûteux qu’à l’époque de la Switch.
Et pourtant, face à ces réalités économiques, une partie du débat public reste biaisée. À l’ère des réseaux sociaux et du contenu instantané, de nombreux influenceurs ou créateurs de contenus n’hésitent pas à jouer sur la confusion autour des prix pour créer la polémique, générer du clic ou alimenter une indignation facile. Résultat : les joueurs sont souvent mal informés ou volontairement induits en erreur. Pourtant, la réalité est tout autre : si le prix des jeux a effectivement augmenté, cela reste dans des proportions logiques pour un changement de génération et en cohérence avec les tarifs pratiqués chez la concurrence.
Ne tombez pas dans le piège. Derrière chaque étiquette de prix, il y a une réalité économique bien plus nuancée que les discours faciles.
Si la Nintendo Switch première du nom s’est longtemps reposée sur une architecture modeste pour rester accessible et portable, sa grande sÅ“ur, la Switch 2, change radicalement de paradigme. Cette nouvelle console embarque une puce conçue par Nvidia, probablement une version custom d’Ampere (RTX 3000) et peut-être un dérivé mobile du GPU GA10x, avec un CPU ARM Cortex-A78C 8 cÅ“urs, bien que Nvidia et Nintendo n’ont pas communiqué sur les spécificités techniques exactes de la console pour se concentrer sur les innovations des jeux et de la console. Cette Nintendo Switch 2 offre des fonctionnalités jusqu’alors inédites dans l’écosystème Nintendo : upscaling 4K via DLSS, support du ray tracing, et des jeux capables de tourner jusqu’à 120 images par seconde.
Même si Nintendo n’a pas encore détaillé les caractéristiques officielles et précises de la puce, les informations recoupées depuis les fuites et les annonces officielles dessinent un profil clair : la Switch 2 sera capable de rivaliser techniquement avec les consoles de génération actuelle et ce dans un format hybride. C’est une véritable montée en puissance, mais qui nécessite un coût. Grâce a sa compatibilité DLSS et Ray Tracing, la console pourra afficher des jeux graphiquement équivalents à ceux d’une PS4 Pro. Sur les graphiques ci-dessus, on peut voir que la PS4 Pro affiche un taux de TFLOPS supérieur à celui de la Switch 2 en mode téléviseur et portable (des chiffres non officiels, mais qui devraient se rapprocher des définitifs). Mais d’abord : c’est quoi un TeraFLOP ?
Ok, mais concrètement, en jeu, ça change quoi ?
Définition : « L’upscaling », c’est quand la console rend le jeu à une résolution plus basse (ex : 1080p), puis l’agrandit artificiellement jusqu’à la résolution d’affichage (ex : 4K) avec des techniques d’IA (comme le DLSS). Dans le « Checkerboard rendering » (utilisé par la PS4 Pro) : seule la moitié des pixels est calculée (comme un damier), puis complétée avec des techniques prédictives pour simuler de la 4K. Gardez à l’esprit que l’upscaling utilisé dans la Nintendo Switch 2 est une bien meilleure technique d’affichage car cela utilise l’intelligence artificielle (DLSS chez NVIDIA) ou des algos très avancés (FSR chez AMD) pour produire une image plus nette avec moins d’artefacts tout en préservant les performances (fluidité). À prendre en compte dans le comparatif PS4 Pro / Switch 2.
Concrètement, dans les jeux bien optimisés, la Switch 2 pourra donner l’illusion d’un meilleur rendu grâce aux outils Nvidia. Mais dans les jeux non optimisés DLSS, ou avec de lourds assets, la PS4 Pro reprendra l’avantage grâce à sa puissance brute. Les deux consoles font donc jeu égal. Même au niveau de la 4K qui sera donc uniquement en upscaling (reconstruction d’image, checkerboard rendering, etc.) et non pas en natif, souvent à 30 fps et pas en 60.
(Gauche sans DLSS sur Switch – Droite avec DLSS sur Switch 2)
Avec cette montée en gamme, les studios doivent adapter leurs pipelines de production : textures en haute résolution, modèles 3D plus complexes, effets de lumière dynamiques compatibles ray tracing, animations plus poussées… tout cela demande plus de temps, plus de main-d’œuvre, plus de tests. Et donc, un coût de développement bien plus conséquent que sur Nintendo Switch.
Un jeu comme Mario Kart World, annoncé comme un open world jouable en 4K avec multi à 24 joueurs et des environnements interactifs, implique des ressources humaines et techniques bien plus importantes que les opus précédents. Il n’est pas exagéré d’estimer que le développement d’un tel jeu coûte entre 80 et 120 millions d’euros, contre 30 à 50 millions pour les gros titres Switch de la génération précédente. Et cette tendance ne touche pas que Nintendo. Partout dans l’industrie, le coût moyen de production d’un jeu AAA augmente de 6 à 8 % par an, poussé par l’innovation technologique, l’exigence graphique, et la complexité croissante des systèmes de jeu. Ainsi, lorsque Nintendo affiche son prix de vente physique pour Mario Kart World à 89,99 € en prix public conseillé, le prix est loin d’être déconnant, au regard du support microSD Express utilisé et des besoins technologiques déployés pour développer le jeu.
Certains pourraient se demander pourquoi une telle différence de prix public conseillé entre Donkey Kong Bananza (79,99 € en physique, 69,99 € en numérique) et Mario Kart World (89,99 € en physique, 79,99 € en numérique) sur Nintendo Switch 2, bien que les deux soient des exclusivités Nintendo en monde ouvert 3D, et nécessitant apparemment des ressources de développement similaires ? Cela s’explique par plusieurs facteurs stratégiques et économiques, à savoir déjà une politique de prix variable selon les titres qu’avait détaillé Doug Bowser, président de Nintendo of America. Il avait confirmé que les prix des jeux dépendraient de facteurs tels que le coût de développement, la complexité des mécaniques de jeu et la durée du contenu. Ainsi, Mario Kart World, avec ses fonctionnalités étendues et sa durée de vie quasi illimitée, justifie un prix plus élevé que Donkey Kong Bananza.
Pour illustrer l’augmentation des coûts de développement entre un jeu Nintendo Switch et Nintendo Switch 2, prenons l’exemple de Super Mario Odyssey. Comparons si Super Mario Odyssey avait été développé sur Nintendo Switch 2, de combien aurait coûté en plus à Nintendo le développement par rapport à la Nintendo Switch :
 # Super Mario Odyssey sur Nintendo Switch :
Ce chiffre se base sur des interviews croisées, des rapports internes (crédits) et les budgets typiques des titres AAA Nintendo à l’époque.
 # Hypothèse d’un Super Mario Odyssey développé pour la Nintendo Switch 2 :
Qu’est-ce qui change techniquement ? :
Un budget nettement plus élevé pour Nintendo concernant ses futurs jeux avec des éléments supplémentaires qui impactent directement le budget, on pourrait représenter cette hausse ainsi :
En cumulé, le budget de développement pur d’un Super Mario Odyssey version Switch 2 (dans le cadre où le jeu ne serait jamais sorti sur Switch et qu’il avait intégralement été pensé et développé pour la Nintendo Switch 2) aurait donc été estimé entre 75 et 90 millions €, soit 40 % de budget supplémentaire. Peut-être moins avec des kits de développements bien pensés, mais dans tous les cas, une véritable hausse des coûts pour Nintendo, et une nouvelle façon de justifier aux joueurs une augmentation tarifaire des jeux.
Avec la Nintendo Switch 2, l’offre de jeux en téléchargement s’est renforcé avec la possibilité pour les joueurs de continuer de télécharger leurs jeux sur le Nintendo eShop (moins cher de 10€ pour les jeux Nintendo en moyenne par rapport aux jeux physiques vendus au prix public conseillé – une évolution positive par rapport à la Wii U et la Switch), et celle d’acheter des jeux semi-dématérialisés appelés « cartes clés de jeu » (lire notre article complet sur ce nouveau format qui met une petite révolution au monde du jeu téléchargeable) qui vous permettent de revendre un jeu vidéo pourtant dématérialisé. En 2024, le marché français du jeu vidéo a connu une transformation significative, avec une prédominance marquée du format dématérialisé. Selon le Syndicat des éditeurs de logiciels de loisirs (SELL), le dématérialisé représente désormais 88 % des ventes de jeux, contre seulement 12 % pour les ventes physiques (PDF complet à lire du Ministère de la Culture).
Cette tendance s’inscrit dans une dynamique observée depuis plusieurs années. En 2022, la part du chiffre d’affaires des jeux vidéo en support physique était déjà en déclin, passant de 31 % en 2017 à 18 % en 2022. Parallèlement, le support dématérialisé a progressé de 69 % à 82 % sur la même période. ​ La baisse des ventes physiques est encore plus prononcée dans certains pays européens. Au Royaume-Uni, par exemple, les ventes de jeux physiques ont diminué de 35 % en 2024 par rapport à l’année précédente. ​Cette mutation a des répercussions sur l’ensemble de l’industrie du jeu vidéo avec des distributeurs spécialisés, tels que Micromania, particulièrement affectés par cette transition (Micromania est d’ailleurs en vente et serait proche du clap de fin). En 2023, les jeux dématérialisés représentaient 84 % des ventes en France, ne laissant que 16 % au format physique. ​Malgré cette tendance, une partie des consommateurs reste attachée au format physique (coucou CJ). Selon une étude, 67 % des Français préfèrent le format physique au format dématérialisé, et 53 % disent préférer acheter en magasin.
Alors pourquoi malgré un tel attachement au jeu physique, les éditeurs se retirent quasi intégralement, petit à petit, de ce format tant adoré ? Bien que la majorité des joueurs disent préférer le format physique, les contraintes économiques, logistiques et industrielles poussent de plus en plus d’éditeurs à s’en détourner. C’est donc moins une réponse à la demande qu’une logique de rentabilité et de modernisation des usages, qui, petit à petit, relègue le jeu physique à un produit de niche ou de collection. Autre effet pervers : les grandes surfaces cassent les prix des jeux physiques pour attirer du trafic. Chose qui a pour effet d’affaiblir les derniers magasins spécialisés comme Micromania (et a déjà balayé la quasi intégralité des autres enseignes telles que Dock Games, Stock Games, toutes les petites boutiques indépendantes…), qui eux dépendent de la marge sur chaque jeu pour survivre. Résultat : de moins en moins de points de vente proposent un rayon jeux vidéo solide, ce qui réduit l’exposition du format physique, notamment pour les jeux indépendants ou de niche.
La domination du dématérialisé semble appelée à se renforcer, notamment avec l’essor des services d’abonnement (Xbox Game Pass par exemple) et du cloud gaming. Fort heureusement, certains acteurs comme Nintendo continuent de miser sur le format physique, en proposant des jeux sur cartouche, notamment avec la future Nintendo Switch 2. Si cette stratégie vise à répondre aux attentes des consommateurs attachés au support physique et à se créer une visibilité dans les points de vente, reste la question à 1 million : pour combien de temps ? Il se pourrait bien que la Nintendo Switch 2 soit la dernière console de l’entreprise à proposer des jeux physique, laissant une autre question en suspend, la sauvegarde de la propriété intellectuelle de ces jeux…
Le jeu vidéo est un élément majeur du patrimoine culturel mondial, pourtant, rien ne garantit sa transmission dans un monde entièrement numérique tel que nous sommes en train de le vivre. Ce qui est aujourd’hui considéré comme un chef-d’œuvre pourrait ne plus jamais être accessible, faute de support, faute de serveur, ou à cause d’une bête politique commerciale. Avec la disparition du support physique, reste seul celui du téléchargement, et avec lui un certain point de réflexion qu’il convient d’avoir aujourd’hui tous ensemble. Qu’adviendra-t-il de l’accès aux jeux vidéo lorsque ceux-ci ne seront plus que disponible en version téléchargeable et que les serveurs des éditeurs, Nintendo en tête, ne seront plus accessibles ? Certains acteurs (musées du jeu vidéo, associations de préservation, communautés d’archivage) tentent de sauvegarder cette mémoire numérique. Mais ces efforts sont souvent freinés par des verrous juridiques, des DRM, ou le refus des éditeurs de laisser des copies circuler librement, même à des fins de sauvegarde.
Jusqu’ici, le jeu vidéo s’est transmis par le support matériel : cartouches, CD, DVD, disques Blu-ray, cartouches propriétaires… Une fois acheté, un jeu pouvait être conservé, prêté, revendu, voire redécouvert des décennies plus tard dans son format d’origine. Ce n’était pas parfait (usure malgré tout du support), mais c’était tangible.
Si le jeu vidéo doit être considéré comme une œuvre culturelle à part entière, ce qu’il est, alors il mérite les mêmes garanties de conservation que la musique, le cinéma ou la littérature. Et cela implique alors des droits de copie pour archivage et une ouverture juridique en cas de disparition commerciale. Sans cette prise de conscience qui ne semble pas intéresser nos éditeurs de jeux vidéo, l’industrie risque de construire un avenir où des pans entiers de la création vidéoludique s’effaceront à jamais, au mépris de la mémoire collective. Le tout-dématérialisé pose alors un dilemme : plus pratique, plus rentable, mais aussi plus fragile. Si rien n’est fait pour anticiper la question de la conservation numérique, le jeu vidéo pourrait devenir le premier art majeur à s’évaporer avec le temps.
À l’heure où le jeu vidéo entre pleinement dans l’ère du tout-dématérialisé, la question de son prix n’est qu’un pan visible d’un changement bien plus profond. Derrière la stratégie économique, les choix technologiques et les modèles de distribution, c’est toute la relation entre le joueur et l’œuvre qui se transforme. Plus fluide, plus rapide, plus rentable… mais aussi plus volatile, le jeu numérique impose un nouveau contrat, parfois au détriment de la propriété, de la revente ou de la préservation. Si l’industrie ne prend pas conscience de cette fragilité, elle court le risque de sacrifier une part de son propre héritage, celui que l’on ne pourra plus toucher, ni transmettre.
Nos sources : Reddit, DigitalFoundry, Wikipedia, Ministère de la Culture, S.E.L.L