Test Nintendo Switch de Wargroove, après 10 ans de disette, Chucklefish nous offre enfin une excellente suite spirituelle à la série Advance Wars

En plus de trente-cinq ans d’activité dans le domaine du jeu vidéo, Nintendo a développé un nombre impressionnant de franchises, dont certaines se sont imposées comme des références absolues de leur genre. Néanmoins, gérer un tel catalogue n’est pas chose aisée et il n’est pas rare que certaines séries disparaissent des radars pendant plusieurs années, voire décennies. En ce qui concerne les Nintendo Wars, découverts en Occident à partir des épisodes GBA, les fans sont ainsi dans l’attente fébrile d’un nouveau volet depuis la sortie d’Advance Wars : Dark Conflict sur DS en 2008. On ne peut certes pas en vouloir à Intelligent Systems qui reste un des studios les plus prolifiques de Nintendo. D’autant que d’après certains propos tenus en 2017 par les producteurs de Fire Emblem Echoes : Shadows of Valentia, plusieurs membres de l’équipe seraient tout à fait partants pour ramener Advance Wars sur le devant de la scène. Toutefois, en l’absence d’annonce officielle, on a tendance à orienter son regard vers la scène indépendante, souvent plus à l’écoute de la nostalgie des joueurs. Tandis que les amoureux de F-Zero ont pu en partie se consoler grâce aux jeux de course futuriste de Shin’en Multimedia, c’est donc désormais à Chucklefish Games de proposer sa vision du jeu de stratégie avec un Wargroove qui ne cache pas ses influences. Et tant pis si le jeu n’est pas exclusif à la Switch ! Les « vrais » sauront quel support choisir.

 

Un test rédigé par Kayle Joriin.

 


Ancient Wars

Mi-2016, alors qu’ils viennent d’achever le très sympathique Starbound et réfléchissent déjà à leur prochain projet, certains membres de Chucklefish Games, fans d’Advance Wars, s’étonnent que personne n’ait réellement exploité le filon du « Light Tactical » en proposant des titres similaires, surtout en l’absence du maître. En tant qu’éditeur de Stardew Valley, lui-même héritier des Harvest Moon et autres Rune Factory, le concept de la « suite spirituelle indépendante » n’est évidemment pas étranger au studio londonien, tout comme son intérêt. L’idée fait son chemin dans les esprits et après avoir convaincu le reste de l’équipe, le projet est finalement lancé en interne. D’abord modeste, ce dernier s’enrichit peu à peu de nouvelles subtilités destinées à revitaliser une formule qui date un peu, afin d’en proposer une vision plus actuelle. Une réflexion est également menée sur le type d’univers à proposer, les développeurs optant finalement pour un style médiéval-fantastique afin de se démarquer encore davantage de la série de Nintendo. On peut cependant dénicher sur le web quelques images préparatoires avec des tanks et autres unités d’infanteries modernes, témoins d’anciens dilemmes esthétiques.

 

Cela dit, bien que son ambiance soit plus proche de celle d’un Fire Emblem, Wargroove ne saurait mentir sur ses origines, sa formule générale éprouvée étant immédiatement reconnaissable. Sur des cartes en 2D plus ou moins vastes, on retrouve ainsi deux armées qui se font face et agissent chacune leur tour pour tenter de prendre l’avantage sur l’autre, que ce soit en conquérant des points d’intérêt ou en éliminant directement les forces adverses. En revanche, il n’est pas question ici de verser dans le micro-management de héros acquérant de nouvelles compétences grâce à l’expérience accumulée, mais plutôt dans la gestion de cohortes anonymes pouvant être sacrifiées selon les besoins. Pour alimenter son armée, il faut toutefois veiller à s’assurer des revenus réguliers en prenant possession des villages alentour, car recruter de nouveaux soldats n’est pas gratuit et on ne va généralement pas loin avec ceux dont on dispose initialement. A fortiori lorsqu’ils commencent à se prendre des gnons, vu que leur efficacité au combat est directement liée à leur état de santé, représenté sous la forme d’une barre de vie ou d’une étiquette chiffrée.

 

Au-delà de ces considérations économiques, le stratège avisé devra néanmoins prendre en compte les spécificités du terrain et des unités concernées. Si les routes et les plaines favorisent en effet la mobilité, les forêts et les montagnes offrent pour leur part une protection accrue, en plus de former une barrière naturelle dont on peut tirer profit, notamment en plaçant des éclaireurs en hauteur pour dissiper le brouillard de guerre. Quant aux troupes disponibles, elles possèdent évidemment chacune leurs propres attributs et se subdivisent en trois grandes catégories (au sol, aérienne et navale) disposant de casernes spécifiques. Gérer les relations de dominance entre les unités et l’équilibre des forces au sein de son armée est donc primordial pour remporter la victoire, un groupe trop homogène ayant la fâcheuse tendance à se faire décimer par une opposition bien organisée. D’autant que toute attaque entraîne généralement une contre-attaque automatique, ce qui pousse à bien planifier ses offensives pour ne pas se prendre un vilain retour de flamme. Et il ne faut pas non plus ignorer les effets de la météo qui peuvent modifier les capacités de déplacements des deux armées ou les dégâts qu’elles infligent.

 


Same same but different

Très similaire à la série de Nintendo dans ses principes de base, Wargroove s’en distingue néanmoins sur un certain nombre de points qui, mine de rien, changent pas mal les sensations de jeu. Tout d’abord, les commandants que le joueur est amené à incarner, à travers la campagne principale ou dans les modes annexes, participent ici directement au combat. Ils constituent par conséquent des unités à part entière, très puissantes, qu’il faudra éviter de perdre sous peine de défaite immédiate. Comme dans Advance Wars, les héros disposent en outre de pouvoirs spéciaux, activables lorsque la jauge correspondante est remplie, mais dont la portée est plus limitée du fait de leur présence sur le terrain. Du coup, leur utilisation demande un minimum de doigté et de préparation, d’autant que les effets sont assez variés, allant du soin de groupe aux techniques d’invocation en passant par le vol de point de vie ou l’assassinat à la chaîne. À un moindre niveau, chaque type d’unité peut également réaliser des coups critiques dans certaines situations et bénéficier d’un bonus de dégâts considérable. Les piquiers tirent avantage d’être positionnés les uns à côté des autres. Les charges des chevaliers sont particulièrement efficaces après un déplacement de six cases. Quant aux archers, ils infligent des dommages accrus lorsqu’ils restent immobiles avant de tirer. Quelques troupes peuvent même lancer des sorts magiques, à condition de sortir la monnaie.

 

Cela dit, le plus gros changement apporté par le titre de Chucklefish Games concerne sans doute la gestion des points stratégiques que sont les villages, les casernes et les forteresses. Dans Advance Wars, pour capturer une structure, il fallait positionner une unité dessus et utiliser l’action correspondante, le tout prenant au moins deux tours. La procédure était similaire, que la cible soit neutre ou qu’elle appartienne au camp adverse, et il était possible de soigner ses troupes en les positionnant simplement sur un de ses bâtiments. Dans Wargroove, les choses sont en revanche assez différentes. Déjà, les structures peuvent être attaquées depuis l’une des quatre cases adjacentes, ainsi qu’à distance, ce qui multiplie les possibilités tactiques. Ensuite, lorsqu’un bâtiment est conquis, il reste relativement vulnérable à une contre-attaque de l’ennemi car il ne dispose que de la moitié des points de vie de l’unité qui l’a capturé. Il faut alors attendre plusieurs tours pour qu’il atteigne son maximum, tout en sachant que cette réserve peut être mise à profit pour soigner des soldats blessés, ce qui coûte de l’argent et diminue d’autant la santé du bâtiment.

 

Or, cette dernière est également corrélée à la capacité de la garnison en place à contre-attaquer lors des tentatives de siège. Une autre petite nouveauté qui change drastiquement l’approche des batailles, puisque la politique expansionniste n’est pas sans risque et nécessite de sélectionner les unités adéquates pour ne pas inutilement affaiblir ses forces. Au final, on est donc constamment partagé entre la nécessité de consolider ses défenses, pour ne pas perdre ses sources de revenus ou sa capacité de production de nouvelles unités, et l’envie de revigorer les troupes existantes, déjà bien positionnées sur le terrain, sachant qu’il n’est pas possible de les fusionner comme dans la série de Nintendo. Cet équilibre précaire s’intègre toutefois parfaitement dans le gameplay général du jeu et vient l’enrichir considérablement, tout en lui permettant de se différencier assez clairement de son modèle. Sans compter que certains éléments typiques des Advance Wars, comme la gestion du carburant ou des munitions, sont logiquement absents étant donné le contexte scénaristique. Et tout cela contribue à faire de Wargroove une excellente suite spirituelle moderne, au lieu d’être un simple plagiat comme certains auraient pu le craindre lors de son annonce.

 


Les Histoires sans fin

Car au-delà de la comparaison entre le titre de Chucklefish Games et la franchise d’Intelligent Systems, nous sommes surtout ici devant un très bon jeu de stratégie au tour par tour. Certes pas aussi complexe que les wargames les plus pointus, mais loin d’être uniquement réservé aux néophytes du genre. D’autant que la difficulté par défaut peut parfois s’avérer assez corsée et inciter les moins patients à trifouiller les quelques paramètres proposés afin d’adapter l’expérience à leurs envies. On pourra certes pester occasionnellement contre certaines missions un peu laborieuses, notamment lorsqu’il faut ramener de nouvelles unités de l’autre bout de la carte, ou qu’on doit recommencer depuis le début à la suite d’un malencontreux Game Over. De même, on regrettera les quelques lacunes de l’interface, avec des informations parfois peu accessibles, un système de sauvegarde temporaire pas forcément très clair, et l’absence d’options bien pratiques, comme la possibilité de zoomer sur la carte en mode téléviseur (ce qui est possible en mode portable), ou une étape de validation supplémentaire pour éviter de terminer un tour par erreur. Fort heureusement, les développeurs semblent en avoir conscience et des patchs sont d’ores et déjà prévus pour améliorer une expérience globale déjà excellente en l’état.

 

Pour ne rien de gâcher, le contenu proposé est plutôt impressionnant et n’a franchement pas à rougir face aux Advance Wars les plus complets, surtout pour un jeu vendu 16,99 € sur l’eShop. On trouve ainsi une campagne principale très sympathique et relativement longue (entre 15 et 20 heures), narrant les aventures de la reine Mercia dans la reconquête de son royaume. L’occasion de découvrir l’univers du jeu et l’histoire des personnages, documentés dans un codex assez dense, en débloquant au passage de nouveaux contenus, comme le mode « Arcade » ou le mode « Problèmes » ; le premier consiste à enchaîner cinq batailles contre différents commandants, tandis que le second nous demande de résoudre des situations de combat précises en un seul tour. Autant d’activités solitaires qui permettent de collectionner des étoiles afin de débloquer de nouvelles illustrations dans la galerie et quelques bonus cachés. Quant aux amateurs de multijoueur, ils ne sont pas oubliés, puisque le jeu propose des parties jusqu’à quatre, aussi bien en local qu’en ligne, à condition d’avoir suffisamment de temps à y consacrer. Toutefois, là où les développeurs ont vraiment fait fort, c’est en proposant un éditeur ultra-complet pour créer ses propres cartes et campagnes, avec la possibilité de réaliser de véritables petites scènes cinématiques similaires à celles de l’histoire principale. Dans la mesure où il est évidemment possible de partager ses œuvres sur le net, le jeu y gagne une durée de vie potentiellement infinie qui ne dépendra que de la créativité des fans.

 

Pour conclure, impossible de passer sous silence la réalisation du titre, qui sans être impressionnante, rend joliment hommage à ses modèles en jouant la carte d’un pixel art plutôt maîtrisé. Certains portraits manquent certes de finesse, notamment face à l’esthétique plus recherchée de l’introduction, cependant les petites animations lors des cinématiques apportent beaucoup de vie à l’ensemble, et renforcent le côté bon enfant de l’aventure. On saluera en outre les efforts consentis sur l’identité visuelle de chacune des quatre factions proposées, bien que ces dernières ne se distinguent dans les faits que par leur apparence et leurs commandants, les unités étant pour leur part exactement les mêmes d’un camp à l’autre. Si on ajoute à cela une bande-son très correcte, Wargroove apparaît donc comme une belle petite réussite, qui après quelques ultimes coups de polish via de futurs patchs, pourra sans honte regarder les Advance Wars dans les yeux. Peut-être en aurait-il été autrement si la série de Nintendo était toujours active, mais en l’état, le bébé de Chucklefish Games s’impose sans problème comme la meilleure alternative actuelle en attendant un hypothétique retour du roi du Switch.

 

 

CONCLUSION : OUI (ND AWARD)

Avec Wargroove, Chucklefish Games montre une nouvelle fois que la scène indépendante est capable de répondre aux attentes des joueurs délaissés par les grands éditeurs. Après dix ans de disette, tout juste interrompue par un Tiny Metal qui n’a pas forcément convaincu tout le monde, les fans d’Avance Wars peuvent donc se réjouir du retour d’une formule toujours aussi efficace, qui a même gagné en richesse grâce à des ajouts pertinents. Tout n’est certes pas encore parfait, mais entre un contenu déjà très conséquent et un suivi qui s’annonce sérieux, les amateurs de stratégie légère et colorée n’ont vraiment aucune raison de bouder leur plaisir devant l’un des meilleurs jeux eShop de ce début d’année.

LES PLUS :

+ Un Advance Wars-like fidèle…

+ … avec pas mal de nouveautés intéressantes

+ Créer et partager ses propres campagnes scénarisées

+ Un contenu énorme, que ce soit en solo…

+ … ou en multijoueur (local ou en ligne)

+ Réalisation sympathique et ambiance bon enfant

+ Les correctifs annoncés vont dans le bon sens


LES MOINS :

– De petites lacunes dans l’interface

– Quelques missions un peu longues et laborieuses

– Difficulté par défaut assez étrange par moments

– Pas de réelles différences entre les factions

– Certains portraits moins réussis

_______________________________________________________________

Le système de verdict de Nintendo-Difference repose sur trois niveaux :

– OUI ! (nous recommandons l’achat de ce titre, peu importe quel joueur vous êtes : vous l’apprécierez, à condition de ne pas être hermétique au genre ou à l’univers). Le Oui accompagné du ND Award récompense les titres soit exceptionnels que vous devez acheter quoiqu’il arrive, soit ceux nous ayant provoqué de gros coups de coeur !

– “Peut-être” (nous recommandons de bien lire le test avant d’acheter le jeu, car il peut ne pas correspondre à tout le monde, et ce pour des raisons qui peuvent largement être différentes d’un jeu à un autre). Par exemple, un titre peut être tout à fait exceptionnel et obtenir un “Peut-être” parce qu’il se classe dans un genre de niche qui ne correspondra pas à tout le monde alors qu’un autre pourra s’avérer vraiment moyen et à ne réserver qu’aux puristes du genre ou aux fans inconditionnels (comme dans le cas d’une adaptation par exemple).

– NON (nous ne recommandons pas l’achat de ce jeu). Trop mauvais ou trop cher pour ce qui est proposé.

Nous avons abandonné l’idée des notes, car celles-ci n’aident en rien à faire un choix, avec ce système vous savez si vous pouvez acheter les yeux fermés, s’il faut bien lire le test pour savoir si le jeu peut vous convenir ou s’il faut tout simplement s’enfuir.

  • Nintendo-Difference

    par Draco

    le 23 février 2019 à 12:59

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