Une plainte déposée auprès du NLRB à l’encontre de Nintendo of America et du cabinet Aston Carter, Nintendo répond, d’autres témoignages émergent évoquant des conditions de travail abusives

En 2019, Doug Bowser, président actuel de Nintendo of America, était interrogé par IGN au sujet du « crunch », en affirmant s’assurer que les employés puissent avoir un bon équilibre entre vie professionnelle et vie privée, et prenait l’exemple de la sortie d’Animal Crossing : New Horizons qui avait été repoussée de plusieurs mois. Nous avions d’ailleurs accordé un article à ses déclarations en parlant également l’une des grandes filiales de Nintendo, Monolith Soft, qui veut toujours faire en sorte que les employés puissent avoir un environnement de travail confortable, avec très peu ou aucune heure supplémentaire contrairement à une grande partie des studios de développement japonais. Reggie Fils-Aimé avait été aussi interviewé concernant le crunch par Waypoint, en évoquant la façon de Nintendo d’adapter sa façon de travailler avec ses agences partenaires, en ajoutant des effectifs au besoin pour aider à surmonter une crise. Si l’on pense à leurs déclarations aujourd’hui, c’est parce que récemment, une plainte a été déposée par un employé anonyme contre Nintendo of America et le cabinet de recrutement Aston Carter auprès du National Labor Relations Board.

Pour résumer, dans le document, le membre du personnel ayant porté plainte affirme que Nintendo of America et le cabinet de recrutement Aston Carter ont violé son droit, pourtant juridiquement protégé, de se syndiquer. La plainte, accessible à cette adresse, a été déposée le 15 avril dernier. Le journaliste Stephen Totilo d’Axios Gaming a commencé à partager cette plainte sur son site et sur Twitter. On apprend que Nintendo of America et le cabinet de recrutement Aston Carter, société mondiale, se sont livrés à des « activités concertées » et ont mené des « actions coercitives » contre cet employé anonyme. Nous ne savions pas ce qu’il s’est passé exactement pour que cette personne porte plainte, étant donné que le dossier posté publiquement ne décrit pas ce qui serait produit. Toutefois, le journaliste indique que cela était susceptible d’inclure des allégations de surveillance, de menaces, de représailles et soit une mise à pied, soit un refus d’embauche, ce qui fait donc écho à des conditions de travail abusives, malheureusement répandues dans le domaine du jeu vidéo. Les détails publiés plus tard indiquent bien le fait que l’employé aurait été surveillé, et qu’il aurait été licencié car il a soit essayé d’adhérer à un syndicat, soit de le soutenir. La plainte a été déposée dans l’État de Washington contre Nintendo of America, qui se situe donc dans la ville de Redmond à Washington. Concernant Aston Carter, le journaliste d’Axios Gaming note que les offres d’emploi en ligne montrent qu’il a recruté des sous-traitants du service client et de l’administration pour Nintendo. On apprenait au passage qu’une enquête suivra, qu’elle rejettera ou poursuivra une affaire, mais que probablement rien n’en sortira et que les entreprises concernées pourraient être innocentées. Dans le cas où une affaire serait poursuivie, il y aura des questions sur qui serait coupable, la société contractante ou Nintendo of America.

Lorsque cette plainte a été partagée, ni Nintendo of America, ni Aston Carter n’avaient répondu. Toutefois, il y a quelques heures, Nintendo of America a envoyé un communiqué, partagé par Polygon, en réponse à cette plainte. Il indique brièvement que Nintendo of America est au courant de la réclamation qui a été déposée auprès du National Labor Relations Board par un contractuel. Cependant, d’après Nintendo of America, il avait été licencié pour avoir divulgué des informations confidentielles et pour aucune autre raison. Le communiqué affirme aussi que Nintendo n’est au courant d’aucune tentative de syndicalisation ou d’activité connexe et a l’intention de coopérer à l’enquête menée par le NLRB. Il se termine en promettant que Nintendo s’engage pleinement à fournir un environnement de travail accueillant et favorable à tous ses employés et sous-traitants, et que les questions d’emploi sont prises très au sérieux.

Depuis ces dernières années, de plus en plus de témoignages sont apparus sur Internet, montrant le mécontentement des travailleurs dans le domaine du jeu vidéo. Il y a eu plusieurs scandales très médiatisés, on pense notamment à Quantic Dream, Ubisoft, ou encore dernièrement Moon Studios et les entreprises citées sur Axios, à savoir Activision Blizzard dont certains employés ayant travaillé sur Call of Duty et World of Warcraft ont lancé une campagne syndicale, et Raven Software, filiale d’Activision Blizzard, en conflit de travail avec la direction d’Activision supervisée par le NLRB. Dans l’article sur Axios, on apprend que Harley Shaiken, professeur et expert du travail à l’Université de Californie à Berkely, a déclaré que la situation ne devait pas être ignorée et que le si le NLRB énumère ces allégations, cela deviendrait très sérieux, et leur capacité à agir en conséquence est tout à fait réelle.

À la suite de la parution de cette plainte, plusieurs personnes ont décidé de témoigner sur Twitter par rapport à leur expérience chez Nintendo et ont évoqué des conditions de travail abusives. L’un des premiers témoignages est de Boyks, qui avait un contrat de plus de 3 ans. Il affirme que cela a été l’une des expériences les plus stressantes et les plus horribles de sa vie. Attention : la suite de cet article traite de sujets sensibles, comme le suicide.

 

 

Malgré le fait qu’il s’entendait très bien avec ses collègues, Boyks était constamment sous la pression d’être renvoyé pour des raisons minimes, comme aller aux toilettes ou être coincé dans la circulation juste avant d’aller travailler. Il y avait des jours où ce qu’il vivait aller jusqu’au point où, lorsqu’il conduisait pour se rendre au travail, il pensait qu’il ferait mieux de fermer les yeux et de foncer dans la voiture devant lui plutôt que de subir le stress qu’il avait pu déjà subir au travail. Bien d’autres exemples ont été donnés par Boyks, comme le jour de son départ, où on lui a simplement dit de nettoyer son bureau. Il était également présent lors de la fin de Nintendo Power, où Nintendo of America a décidé de se séparer de ses contractuels en même temps que l’annonce de la nouvelle. De nombreux employés qui travaillaient pour Nintendo Power depuis plusieurs années l’ont très mal pris et n’ont pas été rassurés.

Boyks, de son côté, a vécu des moments difficiles et a lutté pendant un an après avoir été licencié. Il ne compte pas suggérer à qui que ce soit d’aller travailler chez Nintendo of America, surtout si l’on aime les jeux. Il affirme aussi qu’ils ont la terrible pratique de « faire miroiter la carotte » à des employés à temps plein face à des contrats qu’ils n’embauchent presque jamais, juste pour continuer à les exploiter et à les garder silencieux. Boyks dit qu’il a décidé de prendre la parole pour essayer d’améliorer les choses pour ses collègues, et que c’est la principale raison pour laquelle il a été licencié. Il affirme aussi que des employés pourraient être renvoyés pour avoir publié sur les réseaux sociaux des messages comme « j’ai passé une mauvaise journée au travail », même sans contexte. Boyks veut cependant souligner que la société de recrutement mentionnée dans l’article d’Axios est différente des deux entreprises avec lesquelles il a travaillé chez Nintendo of America. Aujourd’hui, il n’est plus dans l’industrie du jeu vidéo. Des personnes ont répondu à ce témoignage pour raconter à leur tour leur expérience (voir par exemple ce fil de discussion).

Un autre témoignage posté par @_katerwaul_ affirme que ces problèmes ne concernent pas seulement Nintendo of America, mais tous les emplacements de Nintendo. Satoru Iwata aurait été souvent là lorsque des problèmes se produisaient, et des plaintes étaient constatées constamment. _katerwaul_ continue en affirmant que des sous-traitants étaient tellement terrifiés à l’idée de manquer le travail qu’ils s’y rendaient avec des conditions potentiellement mortelles afin de ne pas être exclus de l’industrie du jeu vidéo. D’autres exemples sont donnés, dont celui du sous-traitant qui s’est fait dire de faire ses valises et de partir à cause de « coupes budgétaires », alors que la majorité des autres employés allait prendre sa retraite avec les bénéfices de Nintendo of America, ou encore celui de l’employé à temps plein qui était chef d’équipe dans le centre de contact, qui était bien connu par la haute direction pour s’attaquer aux jeunes employés asiatiques. Il plaisantait souvent en disant « qu’il ne pouvait pas s’en empêcher, il a la fièvre jaune ». Comme pour le témoignage de Boyks, plusieurs personnes ont répondu pour raconter à leur tour leur expérience (voir par exemple ce fil de discussion).

À la suite de la parution de la plainte évoquée en début d’article et des témoignages de plus en plus nombreux, Kotaku a, à son tour, publié son propre article, avec une enquête menée par Ethan Gach et sisi jiang, en indiquant que selon quatre sources proches de l’incident, cette plainte survient après qu’un employé à temps partiel a parlé des syndicats lors d’une réunion d’affaires et a ensuite été licencié en cours de contrat. Mais dans un mouvement sans précédent, d’autres personnes parlent maintenant de se sentir exploitées et non respectées chez Nintendo. La réunion du département a eu lieu en février selon plusieurs sources, et une remarque demandant un commentaire général sur la syndicalisation dans l’industrie des jeux est intervenue lors d’une session de questions / réponses ouvertes à la fin. Une période importante à noter, car des mois plus tôt, Vodeo Games était devenu le premier studio d’Amérique du Nord à se syndiquer, et les testeurs QA syndiqués d’Activision ont appelé l’éditeur à les reconnaître volontairement. L’employé de Nintendo of America aurait été licencié peu de temps après pour avoir prétendument violé leur accord de non-divulgation dans un commentaire sur les réseaux sociaux (ce qui expliquerait la réponse de NoA que nous évoquons plus haut).

Des sources ont raconté à Kotaku que la publication en question sur les réseaux sociaux était extrêmement vague, et sur la base des mesures disciplinaires dont elles avaient été témoins dans le passé, cela aurait normalement lancé au mieux un avertissement. Au lieu de cela, les sources soutiennent que l’employé faisait l’objet de représailles pour ses commentaires sur les syndicats lors de la réunion de février. D’après 10 employés actuels et anciens du siège de Nintendo of America à Redmond, qui ont accepté de témoigner auprès de Kotaku, les problèmes qui se produisent là-bas vont plus loin qu’un seul cas de représailles présumées. Pour beaucoup, c’est un rêve qui a pu se réaliser, l’équivalent de travailler pour Disney. Cependant, pour des centaines d’employés contractuels de Nintendo of America, le rêve peut sembler à jamais hors de portée et terni par l’insistance de l’entreprise à les traiter comme des travailleurs de seconde classe. Face à ces propos, Nintendo n’a pas fourni d’autres commentaires après des demandes répétées.

 

Le bâtiment principal du siège social de Nintendo of America à Redmond, où les entrepreneurs disent qu’ils sont découragés de rester à l’intérieur selon Kotaku

 

Les employés avec qui Kotaku a pu s’entretenir décrivent un système à deux niveaux dans lequel les employés à temps partiel passent par des agences extérieures sur des contrats de 11 mois, avec pauses obligatoires de deux mois entre les deux. Ils disent qu’ils peuvent demander le chômage pendant cette période, mais n’ont pas accès aux prestations de santé, et les pauses entre les contrats peuvent parfois durer beaucoup plus longtemps. Ces types de pauses obligatoires entre les contrats font écho à ce que Microsoft a mis en pratique après avoir perdu un recours collectif historique de 97 millions de dollars contre des milliers d’employés alors considérés comme des employés à temps partiel de l’entreprise. De nombreux testeurs disent qu’ils ne gagnent que 16 dollars de l’heure, ce qui est inférieur au salaire minimum de Seattle, l’un des marchés du logement les plus chers du pays. Quelques personnes gagnent plus de 20 dollars, mais cela est rare selon un employé actuel à temps plein. Kotaku cite une action d’Activision Blizzard, qui a récemment annoncé que tous les testeurs sont devenus des employés à temps plein avec tous les avantages et un taux de départ à 20 dollars, à la suite d’une récente poussée du personnel des testeurs QA du studio Raven Software travaillant sur Call of Duty : Warzone pour se syndiquer.

Cette vague récente de syndicalisation, et pas seulement dans l’industrie de jeux vidéo puisqu’on la retrouve par exemple du côté d’Amazon et Starbucks, dont le siège social se trouve d’ailleurs à seulement quelques kilomètres de celui de Nintendo of America, amène à se poser des questions difficiles sur les raisons pour lesquelles Nintendo of America ne fait pas plus pour ses employés les plus précaires, surtout à une époque où les profits battent tous les records (voir par exemple notre article sur les derniers chiffres révélés). Aux yeux de ses travailleurs, Nintendo of America s’appuie sur une armée de contractuels dans les tests de produits, le service client et d’autres départements sans fournir d’assurance maladie, peu d’opportunités d’être promus à temps plein et peu de reconnaissances, tant publiquement qu’en interne.

L’une des personnes ayant accepté de témoigner est Jelena Džamonja, vétéran de plus de cinq ans qui occupe le poste de Senior Software Tester à Nintendo. Elle a fait partie du cycle des employés à temps partiel par l’intermédiaire de l’agence d’intérim Parker Staffing, qui se vante de se relation étroite avec Nintendo of America sur son propre site officiel. Comme de nombreux développeurs talentueux chez Nintendo of America, Džamonja a commencé comme testeuse chargée de découvrir des bugs dans les jeux les plus importants de la société et d’autres jeux qui ont été édités sur consoles. Même en assumant des responsabilités importantes (gestion, dirigeante, formatrice d’autres testeurs…), elle était toujours considérée comme employée à temps partiel et était donc tenue à distance par l’entreprise malgré le fait qu’elle travaillait au coude à coude avec des personnes haut placées baptisées « badges rouges », un surnom répandu chez Nintendo of America pour les travailleurs à temps plein. Elle faisait le même travail qu’eux et ses contributions étaient tout aussi significatives. Džamonja raconte elle-même qu’il y a beaucoup de gens talentueux qui trouvent les bugs et les plus gros et les plus, nous la citons, « merdiques », qui feraient paniquer les joueurs. Ils les trouvent, puis les signalent, mais ne sont pas crédités. En consultant les crédits des jeux de Nintendo, on constate que des testeurs sont crédités, mais il semblerait qu’il y ait une différence au sein de Nintendo of America pour les employés à temps plein et ceux à temps partiel, et que ces derniers ne seraient donc pas crédités.

Kotaku a donc évoqué le crash du jeu vidéo de 1983, où Nintendo a revitalisé l’industrie avec la NES, non seulement en créant certains des jeux les plus célèbres dans le monde du jeu vidéo, mais aussi en liant explicitement toute son image de marque à l’idée de qualité. En effet, à l’époque, l’industrie avait été inondée de jeux de mauvaise qualité qui saturaient le marché, amenant Nintendo à créer ce que l’on appelait le « Nintendo Seal of Quality » sur les territoires occidentaux, un logo que vous avez pu voir à de nombreuses reprises (mais pas au Japon), afin de s’assurer que le consommateur puisse voir que les jeux et autres produits de l’éditeur avaient été correctement testés et fonctionneraient comme annoncé. Plus tard, l’éditeur abandonnait la partie « qualité » du logo, alors que le mot résume le mieux la façon dont le public perçoit l’image de marque de Nintendo. Kotaku évoque l’une des citations les plus célèbres de Shigeru Miyamoto. On la retrouve notamment sur The Guardian et elle concerne la nécessité de retarder parfois la sortie des jeux vidéo pour s’assurer qu’ils sortent en bon état. Elle est souvent évoquée comme une façon de s’opposer au reste de l’industrie, où de nombreux jeux sortent dans des états discutables avec des parties inachevées et remplies de bugs. Toutefois, Kotaku explique bien que ces éléments sont en partie basés sur des demi-vérités et des malentendus sur ce que Nintendo a réellement dit ou fait. La « qualité » n’a, en réalité, jamais été censée indiquer si un jeu était bon ou non, mais simplement montrer qu’il était fonctionnel. La citation exacte de Miyamoto, quant à elle, ne s’est jamais réellement produite, malgré le fait qu’elle continue à être utilisée régulièrement sur les réseaux sociaux.

 

 

Après ce que Džamonja a évoqué, cela amène à se poser des questions sur qui s’assure que Nintendo fournit cette qualité, semblerait-il de premier plan, et qui, selon les consommateurs, est la chose qui se distingue de l’éditeur. C’est Nintendo qui a visiblement récolté tous les avantages d’être associé à de tels produits. Džamonja déclare notamment : « Cela fait mal à votre fierté parce que vous contribuez à ces jeux et à la qualité et aux raisons pour lesquelles les joueurs reviennent. » L’inégalité dans ce système a frappé la testeuse au début de 2020 où, l’une d’une journée glaciale en janvier exceptionnellement enneigée, elle a glissé et s’est cogné la tête en se rendant au travail. Elle n’y a pas pensé au début, mais au moment où elle se trouvait au bureau, elle avait du mal à lire et commençait s’inquiéter d’avoir subi une commotion cérébrale. Heureusement, il y avait une clinique sur place dans son immeuble, mais lorsqu’elle est allée faire un examen, elle raconte qu’elle a été renvoyée parce qu’elle n’était pas une employée à temps plein et ne faisait pas partie du régime d’assurance maladie de Nintendo of America. Elle a décidé de demander à un collègue de la conduire à un établissement de soins d’urgence à proximité, mais cela n’a pas fonctionné non plus. Le collègue en question était un employé à temps plein de Nintendo. De plus, étant donné qu’en tant que sous-traitante, Džamonja était techniquement employée par Parker Staffing, elle a déclaré qu’on lui avait dit qu’il était contraire à la politique de l’entreprise que son collègue la conduise hors du site. Kotaku a décidé de contacter Parker Staffing pour apporter une réponse par rapport à ce témoignage, sans succès.

En pleurs, Džamonja a pu avoir finalement accès à un Uber. D’après elle, chez Nintendo of America, ils veulent contrôler les employés à temps partiel comme s’ils étaient à plein temps, mais pas les traiter comme un travailleur à temps plein. Par ailleurs, leur accès aux installations de Nintendo of America est limité, alors que les travailleurs contractuels sont censés fonctionner au même niveau que leurs homologues à temps plein, y compris en s’engageant à faire des heures supplémentaires nécessaires lorsqu’un projet se heurte à une date limite. Par exemple, même s’ils peuvent déjeuner au café Mario, ils ne peuvent pas beaucoup s’attarder dans le bâtiment principal. L’hypervigilance de l’entreprise autour des fuites signifie que les employés à temps partiel doivent être également accompagnés de « badges rouges » (les employés à temps plein) dans de nombreuses parties du campus. Ils ne peuvent même pas emmener leurs parents visiter le musée Nintendo qui se trouve là-bas. Autre exemple : même en travaillant aux côtés de quelqu’un pendant 20 ans, si l’on reste un employé à temps partiel, on peut ne pas être invité au barbecue organisé par l’entreprise. Un autre employé contractuel actuel anonyme raconte que l’idée d’être embauché à temps plein, « c’est des conneries », c’est comme une carotte sur un bâton pour permettre de faire face aux mauvais traitements.

Une ancienne associée du service client a également témoigné et a déclaré qu’elle a travaillé chez Nintendo pendant une décennie entière, avec seulement un an de congé, mais qu’elle n’a jamais été promue à temps plein. Beaucoup d’employés à long terme étaient enchaînés avec l’attrait d’un emploi à temps plein. De plus, même si certains sont devenus des employés à temps plein, il n’y avait pas toujours une grosse augmentation de salaire, et parfois, il se sentaient toujours non compétitifs par rapport aux rivaux locaux. Un employé actuel à temps plein déclare que le salaire à temps plein est bien sûr meilleur, mais toujours pas excellent selon les normes de l’industrie et que c’est presque comme s’ils voulaient récompenser les employés avec simplement le privilège de travailler pour Nintendo. D’après un autre employé, ils ont la capacité de payer correctement, mais cela peut ne donc pas arriver. Malgré ces nombreux témoignages, on ne sait pas exactement qui est en charge de ce type de décisions. Les travailleurs contractuels sont invités à faire part de leurs préoccupations salariales aux agences par lesquelles ils sont embauchés. Sur le papier, l’homme qui en est en charge à l’heure actuelle est Doug Bowser, qui a pris la relève après le départ de Reggie Fils-Aimé en 2019. Certains employés à temps plein ne savent pas si Nintendo of America a le pouvoir d’améliorer les conditions par lui-même ou s’il a besoin d’une autorisation de Nintendo Company Limited au Japon. Un employé actuel a suggéré que Don James, le vétéran de longue date de Nintendo et actuel vice-président des opérations, avait le dernier mot. Un autre a déclaré que Nintendo of America ne pouvait même pas changer la couleur du papier peint dans une salle de réunion sans l’approbation de Nintendo au Japon. Une troisième source a indiqué qu’il était difficile de repousser des choses comme les heures supplémentaires, parce que les homologues japonais feraient plus, il faut donc qu’ils correspondent à ce qu’ils feraient.

 

Doug Bowser, président actuel de Nintendo of America 

 

En parlant de tous ces problèmes, Kotaku a retrouvé une interview de Miyamoto qui est toujours disponible sur le site officiel de Nintendo of America. On y trouve une partie où Miyamoto est interrogé sur une rumeur selon laquelle, au début de sa carrière, il a coupé les liens avec des apis afin de se concentrer sur le développement de jeux vidéo. Bien qu’il ait précisé qu’il n’avait appelé que quelques amis pour leur dire qu’ils ne le verraient probablement pas avant des mois, l’anecdote est véridique, même si Miyamoto précise bien que ce n’était pas aussi extrême. À l’époque, si les développeurs finissaient par travailler jusqu’à 2 heures du matin, Miyamoto leur disant de retourner chez eux pour leur santé. Il y a de nombreuses histoires sur le développement de jeux de Nintendo où le personnel travaillait jusqu’à tard dans la nuit, et dans le stress. Dans une interview de Miyamoto parue en 2020, le créateur affirme que la seule façon de réaliser un rêve ou une vision lors de la gestion du personnel est de penser d’abord aux joueurs.

Pour revenir aux témoignages, les employés actuels et anciens qui ont accepté de parler à Kotaku ont également déclaré qu’ils estimaient que même discuter de leurs conditions de travail pouvait avoir des répercussions. Il y aurait même une certaine peur d’en parler avec les badges rouges selon un employé contractuel actuel. Un employé à temps plein avec qui Kotaku a parlé n’était pas en désaccord avec cette affirmation et indique que le sentiment général est que l’on peut être puni pour avoir été franc à tous les niveaux. Une autre personne ayant témoigné, Jenn, raconte que Nintendo of America peut se débarrasser des fauteurs de troubles parce qu’il y a une longue file d’attente de gens qui veulent être embauchés là-bas. Elle a estimé qu’il y avait eu un « changement de culture » majeur chez NoA en 2015, où la direction a mis davantage l’accent sur les mesures de performance. Par rapport aux cinq années durant lesquelles elle a pu travailler chez Nintendo, l’accent était plutôt mis sur les temps d’attente et la fréquentation des appels. Une source qui a parlé sous couvert d’anonymat a déclaré que les projets et les équipes ont diminué là-bas cette année-là (dont l’une faisait partie de leur équipe) et qu’il y a eu des changements structurels majeurs dont la façon dont les projets seraient attribués aux employés à temps partiel. La nouvelle structure à plusieurs niveaux pour les testeurs signifiait qu’ils se sentaient obligés de faire des heures supplémentaires s’ils voulaient être affectés à plus de projets à l’avenir. La source a estimé que ces changements étaient dus aux performances décevantes de la Wii U.

Plusieurs personnes qui ont « parlé hors de leur tour » ont déclaré qu’ils avaient ensuite été pris à part et avaient reçu des avertissements. Džamonja se souvient d’une réunion en 2021 qui a eu lieu d’une vague de violence anti-asiatique. Son directeur a abordé la montée des crimes de haine lors de la réunion en lisant une déclaration interne officielle de Nintendo les condamnant. Lorsque la réunion s’est terminée et qu’il y a eu un dernier appel pour des questions ou des commentaires, Džamonja a déclaré qu’elle faisait du bénévolat dans le cadre d’un groupe de surveillance de quartier à Seattle pour aider les gens à rentrer chez eux en toute sécurité et pour lui faire savoir si quelqu’un d’autre voulait en savoir plus. Un jour après la réunion, Džamonja a déclaré avoir reçu un message pour passer un appel avec le représentant de son agence. Son manager avait apparemment été mécontent de son commentaire, et le représentant l’a réprimandée en son nom pour s’être éloignée du sujet pour promouvoir le groupe de bénévoles. Certaines personnes pensent que des incidents comme celui-ci peuvent nuire à leurs faibles chances de promotion ou même les faire licencier et ne jamais les inviter à revenir.

En plus de Džamonja, une autre testeuse a décidé de parler sans être sous couvert d’anonymat : Elisabeth Pring. Alors qu’elle en était à sa deuxième tournée de tests chez Nintendo of America récemment, cela a été soudainement écourté. Pring dit qu’elle parle franchement de ce qu’elle ressent comme des problèmes chez Nintendo of America, et estime que cela lui met une cible sur le dos. Plus tôt ce mois-ci, elle a déclaré avoir dénoncé le manque de flexibilité du travail à domicile pour les testeurs lors d’une réunion avec un directeur. Ce dernier avait déclaré qu’il resterait à distance pour des raisons de santé et Pring, qui se dit immunodéprimée, a demandé pourquoi les contractuels n’avaient pas la même option. Peu de temps après la réunion, elle dit qu’elle a été réprimandée pour ne pas avoir suivi les « canaux appropriés ». Pring a déclaré qu’elle avait été écartée pour des avertissements comme celui-ci trois fois au cours du mois dernier. Ensuite, le 11 avril, la direction a placé une réunion sur son calendrier pour la fin de la semaine, mais n’a jamais dit de quoi il s’agissait. Ce vendredi vers la fin de la journée, elle et cinq autres personnes ont participé à une conférence téléphonique avec leur représentant d’Aston Carter et les responsables de Nintendo. Il s’est avéré qu’ils étaient tous renvoyés. Pring était stupéfaite, n’ayant reçu aucune indication de son superviseur au sujet de la résiliation de son contrat alors qu’elle n’en était qu’à la moitié. Avant la fin de la réunion, elle a partagé sa frustration qu’ils n’aient même pas reçu un préavis de 24 heures avant qu’ils se retrouvent bientôt sans emploi. Peu de temps après la fin de la réunion, elle a été rappelée par son recruteur d’Aston Carter via Microsoft Teams et au cours du bref échange, elle dit qu’elle a de nouveau été réprimandée pour avoir exprimé sa plainte dans un forum ouvert plutôt qu’avec les superviseurs appropriés, alors qu’elle était déjà sur le point de partir. Contacté par Kotaku, Aston Carter n’a pas répondu à une demande de commentaire. Pring déclare que l’on doit rechercher ce que l’on veut dans cette industrie, car personne ne le donnera. Elle dit qu’elle adore les jeux et que quelqu’un doit changer cette industrie.

Le personnel actuel et ancien interrogé avec qui Kotaku s’est entretenu attend de voir si Nintendo of America va commencer à changer ou bien tenter de réprimer la dernière vague de plaintes comme cela aurait été fait avec les précédentes. D’après Džamonja, l’air dans le bureau est tendu en ce moment, les employés ont peur d’en parler. Mais toutes les personnes qui ont témoigné adorent leur travail et les personnes avec qui elles travaillent. Elles veulent simplement que le système les traite comme toutes égales. Džamonja indique que si elle était à temps plein, elle resterait à son poste de testeuse pour toujours. Mais cela ne s’est jamais produit et elle a l’impression d’avoir atteint un plafond de verre où ce qu’elle apporte n’a plus d’importance.

 

Photo du site Careers at Nintendo of America

  • Nintendo-Difference

    par Klaus

    le 23 avril 2022 à 1:00

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