En résumé
L'avis de Chozo
Cela transpire par tous les pores : Kunitsu-Gami : Path of the Goddess rend un vibrant hommage au pays de ses créateurs et le fait de manière à rendre ses références accessibles à tous. Mais plus que ça, nous sommes face à une œuvre au gameplay hybride parfaitement maîtrisé, belle à en pleurer, dotée d’un soin apporté à la musique, au mixage et au design sonore de tout premier ordre, et ce malgré un budget réduit par rapport aux grosses productions habituelles de Capcom. L’expérience s’en trouve encore enrichie sur cette version Switch 2, avec une jouabilité à la souris qui prouve tout le potentiel de cette fonctionnalité de la console, et un rendu technique identique aux autres plateformes. Même avec le contenu supplémentaire apporté, on aurait peut-être aimé encore un peu plus, histoire de gonfler la durée de vie… Mais ne boudons pas notre plaisir : il s’agit d’un excellent jeu, et on lui souhaite un meilleur succès commercial avec cette sortie sur la nouvelle console de Nintendo, les chiffres de vente n’ayant jusqu’à présent malheureusement pas été au rendez-vous. De la confiture à des cochons, que voulez-vous.
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par Chozo
le 28 juin 2025 17:38
Parmi les productions Capcom réinterprétant les cultures japonaises, Kunitsu-Gami : Path of the Goddess illustre peut-être le mieux le slogan cher au studio : « From Osaka to the World ». Il s’inscrit en effet dans cette tradition en s’inspirant profondément de folklores et d’arts nippons pour le coup rarement mis en avant, sur fond de jeu d’action-stratégie en temps réel, n’hésitant pas à lorgner vers le tower-defense. Le titre fascinait lors de ses trailers pré-publication, en tout cas le peu de personnes s’étant un tant soit peu attardées sur ce machin bizarre, avec ses personnages dansant comme une Sadako sous acide et son esthétique horrifique fixée dans une dimension entre Onimusha, Resident Evil et Okami. Sorti en juillet 2024 sur PlayStation 4/5, Xbox One/Series et PC, ce jeu-hommage est disponible sur Nintendo Switch 2 dès sa sortie le 5 juin dernier, avec de petits ajouts bienvenus.
Kunitsu-Gami plonge les joueurs dans un délire de mythes ancestraux où leurs personnages se sont mis aux techniques de marionnettistes, sous une direction artistique que l’on qualifiera de nippo-japonaise, où il nous est demandé de sauver une montagne, le mont Kafuku, gangréné par la corruption. En ressort une œuvre saisissante, dont la singularité repose en grande partie sur la vision artistique de Shuichi Kawata, réalisateur du jeu, et surtout sur son intérêt pour le Bunraku, qui a inspiré une grande partie de la structure narrative et du gameplay, faisant de ce jeu un pont fascinant entre tradition et modernité. Une expression souvent galvaudée, mais qui trouve tout son sens ici.
Test réalisé à partir d’un code fourni par l’éditeur
Kunitsu-Gami : Path of the Goddess se déroule donc sur le mythique mont Kafuku, foyer de la Déesse de la Montagne. La cinématique d’introduction annonce la couleur : kana, kanji, estampes, on est bien en terre nippone, emporté par la prêtresse divine Yoshiro qui invoque le guerrier spirituel Soh, la première étant en mission pour éradiquer toute forme de corruption, le second étant chargé de la protéger. L’impact visuel frappe d’entrée de jeu, Capcom puisant dans l’architecture, les vêtements et les rituels japonais pour enrichir son monde. Le style graphique, avec des personnages et des environnements évoquant les estampes ukiyo-e, donne à chaque scène cette impression d’être peinte à la main, rappelant les œuvres classiques du Japon féodal. L’environnement du titre a d’ailleurs été créé en miniatures puis numérisé par l’équipe de développement, accentuant le réalisme. L’immersion est magnifiée par le RE Engine, qui tourne comme un charme sur Switch 2.
En plus de cette corruption, ce sont les démons Ikoku qui inquiètent le duo, s’infiltrant dès la nuit tombée sur les terres du mont Kafuku pour détruire toute forme de faune, de flore et de vie humaine. Ces démons sont directement issus des Emakimono, des rouleaux à peinture japonais et en particulier ceux représentant des cortèges de créatures fantastiques inspirés par la croyance de « La Procession Nocturne des Cent Démons », un rouleau illustrant une narration horizontale issue des croyances folkloriques japonaises du Hyakki Yagyô.
Les Ikoku, créatures monstrueuses qui peuplent ces rouleaux produits entre le XVIᵉ et le XIXᵉ siècle, matérialisent un mélange d’inquiétude et de parodie sociale, exprimant satiriquement les peurs liées au désordre politique ou aux bouleversements sociaux. Le concept sous-jacent de ces représentations est celui de la métamorphose, où les objets et animaux reprennent vie après cent ans, imprégnés d’une énergie spirituelle. Les artistes de l’époque s’inspiraient de l’iconographie bouddhique pour donner à ces bestioles une forme grotesque ou démoniaque, offrant une représentation visuelle de l’inhumain.
La mission de Yoshiro est simple et directe : il faut massacrer ces démons, mais avec grâce et classe, au travers de Soh, dont le style de combat est amplement inspiré de la danse traditionnelle Kagura, conférant au gameplay un style très chorégraphié et rythmé. Ces gestuelles gracieuses sont aussi présentes dans les mouvements dansés de Yoshiro pendant toute l’épopée, conçus pour apaiser les divinités.
Le lien avec une autre œuvre majeure de Capcom se dévoile par cette référence, puisque l’origine mythologique de ce rituel provient de la légende d’Amaterasu, déesse du Soleil qui s’était retirée dans la grotte d’Iwayado, provoquant obscurité et froid sur le reste du monde. Ame no Uzume, divinité de la gaieté et de la bonne humeur, a ainsi exécuté une danse lascive, provoquant une hilarité tonitruante chez les dieux, ce qui éveilla la curiosité d’Amaterasu et la fit sortir de la grotte. On l’a deviné évidemment : on parle ici du légendaire Okami.
Outre l’apport des références précédemment citées, Shuichi Kawata et Capcom ont également collaboré avec Kiritake Kanjūrō III, véritable trésor national au Japon en tant que grand maître hors pair du Bunraku, une forme de théâtre de marionnettes caractérisée par une narration dramatique accompagnée du shamisen, un instrument traditionnel à trois cordes. Il s’agit d’une pratique pluricentenaire collaborative synchronisant récitation narrative, musique et spectacle de marionnettes, mise sur le devant de la scène mondiale par cette collaboration.
En résulte la « Cérémonie de la Divinité : Le Destin de la Miko », une sorte de préquelle théâtrale au jeu sous forme de performance diffusée en ligne juste avant la sortie de Kunitsu-Gami : Path of the Goddess, en partenariat avec le Théâtre National de Bunraku basé à Osaka. Cette représentation, accessible gratuitement, allie la technologie moderne et une forme d’art ancienne, offrant ainsi une immersion unique dans l’univers du jeu. Celui-ci rend en retour hommage à ce patrimoine culturel en intégrant des éléments du folklore du Bunraku, tout en les modernisant et en y apportant des moyens narratifs et visuels plutôt inédits dans le média.
Kunitsu-Gami ne brille pas que par son atmosphère envoûtante et ses multiples hommages, mais aussi par ses mécaniques riches. Le jeu alterne ainsi entre combat dynamique – avec des combos et attaques spéciales – et stratégie en temps réel, où l’on dirige des alliés et déploie des formations sur le champ de bataille. Cette structure particulière, fluide et exigeante, oblige à bien anticiper chaque mouvement pour survivre. À travers Soh, le joueur va voyager vers des points stratégiques de la région en compagnie de Yoshiro, qui prennent la forme soit d’une zone de combat, soit d’un campement permettant d’améliorer unités et équipements, de sauvegarder ou d’interagir avec les habitants préalablement sauvés. Ceux-ci peuvent réparer des installations dans les villages en échange de temps, qu’il faudra occuper forcément en combattant.
Le jeu propose un gameplay distinct dans une mécanique de temporalité jour/nuit en temps réel. Le jour est destiné aux préparatifs au combat et à la reconstruction/purification des villages du mont Kafuku. Soh les explore et y libère les villageois, faune et flore emprisonnés par la corruption. Il recrute aussi ces villageois et leur assigne un métier en utilisant les orbes recueillis par la purification : charpentiers chargés de reconstruire les bâtiments du village et les pièges utiles contre les démons, bûcherons doués en combat rapproché, archers destinés à se placer sur des piédestaux stratégiques et attaquer à distance, ascètes aux pouvoirs psychiques et magiques permettant de ralentir les monstres, etc.
Si nécessaire, en cours de route, il est toujours possible de réassigner les villageois à d’autres métiers, même plus tard en plein combat, en temps réel. L’autre impératif de Soh pendant cette période d’accalmie est de tracer la voie spirituelle servant à guider Yoshiro d’un Torii à l’autre, ces portails séparant les zones traversées et lui permettant d’avancer doucement tout en purifiant le secteur par ses danses traditionnelles.
Une fois la petite troupe montée et un maximum de missions de reconstruction terminées dans la journée, place à la stratégie, au positionnement des unités sur le futur champ de bataille, des pièges et à l’assignation de masques de pouvoir divins à Soh et aux recrues, modifiant souvent l’issue des combats. Plus le joueur avancera, plus les zones de joutes se complexifieront avec de multiples embranchements que les démons exploiteront sans scrupules pour s’attaquer directement à Yoshiro. Charge au joueur d’anticiper au maximum toutes les possibilités pour placer stratégiquement ses unités et permettre à Soh de couvrir un espace suffisamment gérable sans se sentir dépassé. Si vous êtes amateur du genre, vous serez aux anges, tant l’expérience est riche et diversifiée, avec de nombreuses mises en situation plus surprenantes les unes que les autres.
Ça y est, le soleil se couche, les battements de taiko résonnent, puis s’accélèrent. Les Ikoku s’apprêtent à déferler sur l’équipe en place et sur Yoshiro. Les tambours ralentissent, et bim : les monstres envahissent la zone progressivement, vague après vague, en empruntant divers chemins. La mise en scène vaut son pesant de cacahuètes : on est face à du grand art, tant dans le design sonore que dans l’animation des créatures.
Yoshiro stoppe son avancée, s’enferme dans une fleur géante et se retrouve exposée aux attaques. Car, à l’inverse des villageois, qui peuvent être soignés et assistés pour éviter leur mort définitive, c’est tout simplement game over dès que la jauge de santé de la prêtresse est vide. À tout moment, lorsque des démons s’approchent d’elle, le son de clochettes traditionnelles résonne, tandis qu’elle appelle Soh à l’aide.
Les unités préalablement placées, avec leurs rôles définis, se doivent donc de protéger la prêtresse tant bien que mal, épaulées par Soh contrôlé par le joueur et totalement libre de ses mouvements. L’épreuve mobilise autant les capacités de gestion de troupe que le sens du combat direct du joueur. Soh se manie de façon assez classique : il dispose d’un enchaînement d’attaques normales et d’une attaque puissante, en fonction du masque sélectionné. S’il peut se soigner en cours de combat (en fonction des soins disponibles), la mort de Soh ne signifie pas la fin de la partie. Étant invoqué par Yoshiro, il erre simplement sous forme d’esprit pendant une minute des plus stressantes, avant de reprendre sa forme humaine.
L’expérience est en tout cas fort plaisante, surtout au vu de la palette de mouvements de Soh, qui offre un spectacle fascinant, soutenu par des mécaniques de jeu à la fois simples à prendre en main et complexes à maîtriser dans un contexte de batailles sur de vastes zones, offrant de nombreuses occasions à l’ennemi de s’infiltrer.
Certaines zones proposent, en guise de conclusion cyclique, un combat contre un boss dans une section séparée de la région : des affrontements absolument dantesques, mettant à l’épreuve toutes les contraintes de zone rencontrées auparavant entre action, stratégie et parfois gestion de lampes à rallumer, notamment dans des grottes où l’obscurité est à éviter à tout prix.
Une fois la nuit passée, Yoshiro peut à nouveau poursuivre sa progression vers le torii, en suivant la voie spirituelle tracée par son protecteur. Certaines zones, plus vastes, nécessitent de s’arrêter en chemin et de diviser l’avancée sur plusieurs cycles jour/nuit, prolongeant ces moments stressants où l’on ignore quelles créatures émergeront la nuit suivante. Faut-il alors risquer un positionnement moins avantageux pour mieux protéger la prêtresse, ou avancer plus lentement, au risque de multiplier les occasions pour les démons de lancer l’assaut sur Yoshiro ?
Arrivée devant le torii, la prêtresse initie l’exorcisation de la porte divine. Un mini-jeu très simple se déclenche alors : le joueur doit maintenir un curseur au centre de la zone à purifier en contrôlant le stick gauche, tout en résistant à une force opposée qui tente de le faire dévier. Rester précisément au cœur de la cible permet de restaurer l’énergie de Yoshiro, ce qui en fait un élément stratégique important pour garantir une meilleure sécurité dans la zone suivante.
Malgré tout, le jeu demeure généreux et permissif, tant en termes de difficulté générale que de gestion des sauvegardes. Le titre crée en effet des points d’enregistrement entre chaque phase, permettant de reprendre rapidement en cas d’erreur. Il est également possible d’annuler une mission pour retourner au campement, dans la limite du temps disponible avant la nuit.
Permissif, oui, mais aussi truffé d’options d’accessibilité appréciables : le jeu permet notamment de choisir la taille des textes (trois niveaux), leur couleur et leur fond. Pour les joueurs rencontrant des difficultés auditives, il est possible d’activer des sous-titres descriptifs des sons ambiants. Par ailleurs, le jeu est bien entendu traduit en français pour les sous-titres, et il est possible de choisir entre les doublages en anglais et en japonais.
Chipotons un peu, allez : on peut regretter l’absence de verrouillage des monstres en combat lorsqu’on contrôle Soh, ce qui éviterait certains coups dans le vide, ou une durée de vie un peu limitée, puisque le jeu peut se terminer en une petite douzaine d’heures en ligne droite. Mais oui, on chipote.
Un mot sur l’extraordinaire bande originale de Kunitsu-Gami, entièrement composée par Chikara Aoshima, avec Ken Aseem Usami à la direction musicale. Les deux musiciens occupaient déjà les mêmes postes pour l’OST de Shinsekai : Into the Depths. Pour Kunitsu-Gami, ils se sont entourés de six autres artistes pour l’arrangement des musiques : BIGYUKI, Kyoka, Ilpo Väisänen, Schneider TM, Stephen Molchanski et Nao Sato.
Composée de 53 pistes, cette œuvre évidemment inspirée de la musique traditionnelle japonaise, plonge le joueur encore plus profondément dans l’univers sinistre et inquiétant du titre, grâce à une méthode de traitement audio analogique associée à la technologie Dynamic Processing System. Ce système regroupe plusieurs effets audio qui modifient en temps réel le volume et la dynamique du signal : un compresseur réduit l’écart entre sons forts et faibles, un limiteur empêche de dépasser un seuil défini, un expanseur atténue ou coupe les sons en dessous d’un certain niveau, et un égaliseur ajuste les fréquences en fonction du signal. Résultat : un son clair, stable et puissant quand il le faut. Des frissons, oui, des frissons, notamment juste avant chaque nouvelle vague de monstres ou lors des combats de boss.
Quant aux nouveautés de cette version Switch 2, le jeu propose de toutes nouvelles options de commandes, le rendant compatible avec le mode souris des Joy-Con 2 et les commandes gyroscopiques, ce qui rend le placement stratégique des unités bien plus fluide. De plus, sur toutes les plateformes, un contenu complètement inédit fait son apparition : « Périple dans l’autre monde ». Il s’agit d’un mode de jeu situé dans un monde alternatif, caché derrière les torii. Il propose un cycle jour/nuit simplifié, avec des vagues d’ennemis infinies où la santé de la miko ne se régénère pas, rendant l’expérience d’autant plus intense.
Enfin, on y trouve de nouveaux Talismans Mazo en DLC (gratuits), une fonction de tri pour l’écran d’équipement de ces talismans, des corrections de bugs, des ajustements de gameplay, ainsi que la possibilité d’améliorer les villageois de plusieurs niveaux d’un coup. On note aussi une plus grande variété de chats et de chiens dans les bases, la possibilité d’écouter des reprises des musiques d’Okami chez le musicien, des missions de speedrun pour certains combats de boss (avec des Talismans Mazo inédits à la clé), ainsi que de nouvelles options d’affichage et de positionnement de la caméra.