En résumé
L'avis de Kayle Joriin
Retour réussi pour la série Mario & Luigi, qui trouve sur Nintendo Switch un nouveau terrain d'expression avec un sixième volet plus joli que jamais et toujours particulièrement plaisant à parcourir. Si le système de combat met un peu trop de temps à se mettre en place et que le jeu manque parfois un peu de fluidité, on est néanmoins impressionné par le boulot réalisé. C'est ainsi un monde totalement inédit et plutôt varié qui s'offre à nous pour une aventure de longue haleine. Clairement un incontournable de cette fin d'année sur Switch et un nouveau RPG Mario de qualité pour tous les fans.
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par Kayle Joriin
le 7 novembre 2024 2:00
Débutée en 2003 sur Game Boy Advance, la série Mario & Luigi a été développée pendant plus d’une quinzaine d’années par le studio japonais AlphaDream Corporation avant que ce dernier ne fasse faillite en 2019. Durant cette période, ce furent pas moins de cinq épisodes principaux et deux remakes qui sortirent sur trois générations de consoles portables successives, consolidant la place de la franchise comme véritable porte-étendard des jeux de rôle estampillés Mario. Presque six ans après le remake 3DS de Mario et Luigi : Voyage au centre de Bowser et neuf ans après le cinquième volet, Mario & Luigi : Paper Jam Bros., un nouvel opus inédit s’apprête enfin à sortir sur Nintendo Switch, le 7 novembre prochain. Annoncé par surprise lors du Nintendo Direct de juin dernier, Mario et Luigi : L’épopée fraternelle a ainsi la lourde responsabilité de remettre la série sur le devant de la scène et de lui faire passer un nouveau cap, notamment du point de vue technique. Or, si nos premières impressions auguraient déjà d’une expérience prometteuse, force est de constater que les quelques dizaines d’heures de jeu passées en compagnie des deux moustachus nous ont définitivement conquis.
L’un des enjeux de ce sixième volet était clairement d’apporter un peu de sang neuf à l’univers de la franchise puisqu’on restait tout de même sur deux remakes et un crossover facile avec Paper Mario. Ici, il n’est donc pas question de visiter une nouvelle fois le Royaume Champignon, mais plutôt d’explorer un monde maritime original dans le cadre d’une grande aventure sur le thème des connexions et des liens. Le continent de Connexia vivait ainsi autrefois sous la bénédiction de l’Unicéa, un arbre gigantesque produisant une énergie nommée Harmonéon qui assurait paix et prospérité aux terres alentour. Un jour, l’Unicéa fut mystérieusement détruit et le continent se fragmenta en une multitude d’îles dérivant au gré des courants. La jeune volticultrice Ampéria réussit toutefois à sauver une graine de l’Unicéa et à la faire germer sur le Navisthme, une île-bateau qui sillonne désormais les mers dans l’espoir de rendre son intégrité à Connexia en raccordant l’ensemble des îles grâce au pouvoir du nouvel Unicéa. Une tâche à laquelle Mario et Luigi, transportés sur place par un étrange vortex, vont accepter d’apporter leur aide.
Démarre alors une épopée de longue haleine au cours de laquelle nos deux héros vont croiser plusieurs têtes connues et faire surtout la connaissance de nombreux personnages inédits, alliés ou ennemis, à commencer par Couchomb, une petite créature volante généralement planquée sous la casquette de Luigi et qui prend très à cœur son rôle d’acolyte bavard. Bien que niant farouchement de quelconques origines porcines, il s’adonne volontiers à des jeux de mots cochons (dans le sens premier du terme) et apporte une touche comique supplémentaire à une histoire déjà très bon enfant. Comme d’habitude dans les RPG estampillés Mario, cet épisode nous propose en effet un scénario grand public, à l’ambiance légère et décontractée, faisant l’impasse sur les choix moraux cornéliens et autres réflexions existentialistes. Ce n’est cependant pas un défaut et on suit les pérégrinations des deux moustachus avec un plaisir non dissimulé, malgré quelques longueurs et autres lieux communs.
Une bonne partie du plaisir de la découverte vient sans aucun doute de la réalisation très réussie de ce premier volet en haute définition et 3D intégrale. L’évolution par rapport aux épisodes 3DS est ici considérable et offre de nouvelles possibilités en termes de level design, mais également de mise en scène, que ce soit lors des cinématiques ou des affrontements. Cette montée en gamme s’accompagne en outre d’un retour aux sources très agréable au niveau de la direction artistique, bien plus proche de celles des opus Game Boy Advance et Nintendo DS. On retrouve donc l’esthétique colorée, les mimiques et les animations cartoonesques, ainsi que les contours noirs marqués qui donnaient son charme initial à la série, un peu perdu sur 3DS avec le changement de style graphique. Les différentes îles visitées sont d’ailleurs le prétexte à des environnements aussi jolis que variés, que la bande-son vient parfaitement appuyer grâce à des mélodies tantôt joyeuses et jazzy, tantôt graves et menaçantes.
En termes de character design, le résultat est également plutôt satisfaisant. Le look rondouillard des héros est certes plus classique que dans les premiers épisodes en 2D, mais leurs expressions faciales et leurs animations travaillées compensent largement ce relatif manque d’originalité. Il en va de même pour les personnages traditionnels de la série et pour une partie du bestiaire spécifique au monde de Connexia, sympathiques sans être très surprenants. Quant au reste du casting, il pourra laisser un brin perplexe de par ses références au monde de la connectique et des circuits électriques. La plupart des autochtones ont par exemple un visage ressemblant à une prise murale et les armées de l’antagoniste principal sont constituées de composants électriques ou électroniques anthropomorphisés. Rien de choquant toutefois quand on connaît la franchise et ses inspirations parfois étranges.
Au rang des petits regrets, on notera l’absence de réels doublages qui auraient pu apporter un plus en termes d’immersion et constituer un apport intéressant pour le passage de la franchise sur Switch. Au lieu de cela, on doit se contenter de bruitages de dialogues un peu agaçants, de quelques exclamations ou onomatopées ponctuelles, et du baragouinage des deux frangins en pseudo-italien. Côté technique, il est également dommage que les graphismes chatoyants de ce nouvel opus se payent au niveau de la fluidité avec du 30 images par seconde « seulement » et de petits ralentissements réguliers, peut-être dus aux sauvegardes automatiques ou à des soucis de frame pacing. S’ils sont moins fréquents que dans le récent remaster de Paper Mario : La Porte Millénaire, les temps de chargement sont en outre suffisamment longs pour impacter négativement le rythme de jeu. Dans les deux cas, cela ne gêne pas forcément la progression, néanmoins, on aurait bien aimé bénéficier d’un jeu aussi fluide que joli, d’autant que pour une fois l’aliasing se fait plutôt discret.
Après avoir abordé l’aspect narratif et la réalisation, il est temps de rentrer dans le vif du sujet en parlant du gameplay, qui propose alternance assez classique entre phases d’exploration et phases de combat, assorties d’un peu de gestion d’équipe. Bien que prenant place dans un univers maritime, il n’est malheureusement pas question ici d’évoluer librement à travers les flots, à la manière de ce bon vieux Link dans The Wind Waker. La découverte des différentes mers constituant le terrain de jeu de cette nouvelle aventure se fait ainsi par le biais d’une carte appelée Portulan sur laquelle le Navisthme va évoluer en temps réel, le long de courants aux tracés prédéfinis. Il croisera alors la route d’îles et d’îlots à visiter, mais aussi de récifs aux formes caractéristiques faisant l’objet d’une des nombreuses quêtes secondaires disponibles.
Expédiés à coup de canon sur les terres nouvellement identifiées, Mario et Luigi pourront alors se balader dans des environnements de tailles variables dont la relative linéarité n’empêche pas la présence de nombreux petits secrets, voire de zones d’abord inaccessibles vers lesquelles on reviendra ultérieurement, une fois la compétence adéquate débloquée. La progression est quant à elle rythmée par des passages de plateforme et diverses énigmes à résoudre, le tout exploitant bien entendu la complémentarité entre les deux frangins qui s’enrichit progressivement au fil des heures. Et lorsque cela ne suffit plus, le jeu en profite pour mettre à l’honneur ce bon vieux Luigi grâce à de petites pirouettes scénaristiques. Car si Mario est clairement le cœur et les muscles de la fratrie, son trouillard de frère en est, pour sa part, incontestablement le cerveau et il va le prouver à de multiples reprises en trouvant des solutions souvent originales aux problèmes rencontrés.
En pratique, le génie de Luigi va ainsi se traduire par l’acquisition de nouvelles techniques conjointes et par la possibilité d’automatiser les actions du grand dadais, que ce soit pour ramasser les pièces et les objets aux alentours, ou pour activer des mécanismes pendant qu’on continue de contrôler Mario en parallèle. Cette option plutôt sympathique est pourtant également, d’une certaine façon, l’une des petites déceptions de ce nouvel épisode puisqu’on aurait tout à fait pu imaginer une fonctionnalité permettant d’alterner à la volée entre les deux héros et, par extension, un mode coopératif optionnel. L’arrivée de la série sur une console comme la Switch était même l’occasion rêvée pour cela et il s’agit donc d’un acte manqué pour Nintendo.
La dernière utilisation que l’homme en vert pourra faire de son surprenant intellect n’est pas la plus fréquente, néanmoins, elle permet de faire le lien avec l’autre partie du gameplay, à savoir les combats. En effet, lors des affrontements contre les boss, il arrivera régulièrement que Luigi remarque un petit détail dans le décor susceptible d’être exploité pour lancer des attaques dévastatrices. Un élément supplémentaire qui vient enrichir un système fort plaisant, toujours largement basé sur les actions contextuelles, mais dont la mise en place est malheureusement assez lente en début d’aventure. Le saut est par exemple longtemps la seule attaque disponible, suivi quelques heures plus tard du marteau, puis de la première Attaque Frère, une technique puissante nécessitant des Points Fleurs (PF) pour être lancée. C’est d’autant plus dommage que le challenge est alors quasiment inexistant et qu’on a tendance à vouloir écourter au plus vite les batailles malgré une mise en scène soignée.
Les choses évoluent toutefois lorsqu’on débloque enfin les Prises de combat – équivalent local des célèbres Badges – offrant divers bonus d’attaque, de défense ou de soutien, et pouvant même être combinées de différentes manières pour en renforcer la puissance. Ces prises ont cependant une action limitée à une poignée de tours, à la suite de quoi, il faut attendre qu’elles se rechargent. On est donc amené très régulièrement à varier les combinaisons en fonction des prises disponibles et des adversaires rencontrés, d’autant que le bestiaire s’étoffe progressivement avec des ennemis dont il faut apprendre les patterns afin d’optimiser le timing des parades et des esquives. Assez plan-plan durant les premières heures, les affrontements gagnent alors beaucoup en intérêt et si la difficulté demeure très abordable, il est tout de même nécessaire d’être un minimum concentré pour éviter de mourir bêtement, surtout face à certains ennemis qui tapent un peu fort ou compensent par leur nombre. C’est là qu’on s’aperçoit aussi que la gestion de l’équipement et des bonus qu’on peut sélectionner lors du changement de rang, soit tous les sept niveaux gagnés, ne sont pas totalement anodins. Tout comme le fait de se constituer un stock suffisant d’objets de soin.
Au final, l’expérience proposée ici s’avère donc très qualitative et bien que tout ne soit pas parfait, aucun des quelques défauts du jeu n’est réellement rédhibitoire sur la longueur. Avec ce nouvel épisode, la franchise revient donc sur le devant de la scène de la meilleure des manières et on peut être confiant en l’avenir malgré la disparition de son studio de développement historique. Quant à savoir comment ce sixième volet se positionne au sein de la série, c’est sans doute un peu plus compliqué et cela dépendra des goûts de chacun. Pour l’auteur de ces lignes, les versions originales de Superstar Saga et Voyage au Centre de Bowser restent à ce jour intouchables, et les épisodes 3DS – Dream Team Bros. et Paper Jam Bros. – sont en queue de peloton, même s’ils offrent des aventures très correctes. Cet opus Switch serait donc en concurrence avec Les Frères du Temps pour une position intermédiaire, mais il s’agit évidemment là d’un classement purement subjectif dans lequel la nostalgie joue sans doute un rôle important. Quoi qu’il en soit, Mario & Luigi : L’épopée fraternelle est un excellent jeu, que tous les fans de la série peuvent faire sans crainte, et c’est un incontournable de cette fin d’année 2024 sur la console hybride de Nintendo. De plus, il offre une durée de vie plutôt conséquente, puisqu’il nous a fallu pratiquement une soixantaine d’heures pour découvrir la quasi totalité du contenu.