Fragile Dreams

En résumé

  • Sorties :
  • 19 Mars 2010
  • 16 Mars 2010
  • 22 Janvier 2009

L'avis de Xeen

Fragile est un titre magnifique. Seulement, pour l’apprécier à sa juste valeur, il faut comprendre qu’il ne s’agit pas d’un jeu au sens divertissement mais d’une expérience que l’on vit et subit de plein fouet. Le gameplay, reprenant les principaux codes du survival horror, s’avère peu intéressant et emballant. Cependant, même s’il avait été passionnant, Fragile n’aurait de toute façon pas tiré sa force de celui-ci. Ce que l’on tient entre les mains est une magnifique histoire, un conte qui parle de la solitude, du besoin qu’ont les hommes à aimer et être aimé, d’angoisses comme la mort, le tout sous fond d’apocalypse afin d’exacerber ces sentiments ressentis par des personnages désespérément humains, attachants et bouleversants. Poétique, mélancolique, tragique, voilà ce qu’est Fragile. Une œuvre d’une grande maturité malgré les apparences. Le seul regret que l’on émet à la fin du jeu, c’est que les développeurs ne soient pas allés encore plus loin. Certains comprendront, d’autres resteront indifférents. Tout dépend de la sensibilité de chacun. En cela, Fragile divisera comme tous les jeux qui se veulent être autre chose qu’un simple amusement. Un jeu qui, en tout cas, fait du bien à la ludothèque de la console et qui démontre qu’elle est aussi capable de proposer des jeux différents, artistiques.

Les plus

  • L’histoire tout à la fois simple et magnifique.
  • Les personnages touchants et attachants.
  • Réalisation technique superbe au service d’un univers sombre et désolé.
  • L’ambiance sonore.
  • Poétique, mélancolique, tragique, poignant.

Les moins

  • Très particulier.
  • La jouabilité, parfois rigide, nécessite un petit temps d’adaptation.
  • Assez facile.
  • Les combats assez mous.
  • Peu de musique durant les phases de jeu, bien que cela soit justifié.
  • Ne peut/doit être uniquement jugé sur son gameplay.
  • Nintendo-Difference

    par Xeen

    le 28 mars 2009 23:00

Dans le même temps où fut annoncé la suite de Tales of Symphonia, Namco
Bandai dévoila un mystérieux projet répondant au nom de Fragile :
Sayonara Tsuki no Haikyo, littéralement Farewell Ruins of the Moon. Au
fil du temps, s’illustrant par de nombreux screenshots et trailers
baignés d’une douce mélodie, Fragile attira la curiosité d’une large
majorité de joueurs de par une certaine poésie qui en émanait.
Probablement parce qu’il naquit de la collaboration entre deux studios
des plus talentueux, le premier étant tri-Crescendo, auteur des Baten
Kaitos et de Eternal Sonata, le second un studio interne de Namco qui
offrit à la PS2 ses plus beaux, ses plus émouvants et ses plus
poétiques Tactical RPGs, Seven et Venus & Braves. Pourtant, lors de
sa présentation l’année dernière au Tokyo Game Show, Fragile n’arriva
pas à convaincre. Beaucoup de questions fusèrent : Action RPG ?
Survival horror pour adolescents, en raison de l’ge de son protagoniste
et de l’absence visible de sang ? Bon nombre de reproches se firent de
même entendre à propos de la jouabilité. Qu’en est-il réellement,
maintenant que Fragile est sorti le 22 janvier dernier au Japon ?


L’histoire
de Fragile se déroule dans un futur proche post-apocalyptique.
L’humanité a quasiment disparue en semblant s’être évanouie
soudainement. Depuis, le monde, baigné sous une lune qui brille nuit et
jour, n’est plus que ruines. C’est d’ailleurs sous ces termes que les
rares survivants le désignent. Parmi eux se trouve Seto, un jeune
garçon qui, depuis fort longtemps, vit dans un observatoire en
compagnie de son grand-père. Hélas, le temps faisant son œuvre, le
vieil homme mourut, laissant Seto seul et abandonné. Conscient que ce
moment viendrait tôt ou tard et des conséquences qu’il aurait, le vieil
homme fit part de ses dernières volontés à Seto dans une lettre,
l’encourageant à quitter l’observatoire et à partir à la recherche
d’autres survivants comme lui afin de ne pas demeurer seul à  jamais.
Alors que Seto parcourt les ruines durant une nuit pour laquelle la
lune ne s’était jamais montrée aussi étincelante, son destin bascule
lorsqu’il vient à croiser la route d’une mystérieuse jeune fille, Ren,
qui disparaît aussitôt tel un songe. Intrigué par la jeune fille, il ne
va avoir de cesse d’essayer de la retrouver. Ses errances vont le
conduire à rencontrer PF, un poste de communication radio portatif doué
d’une IA, Crow, un adolescent amnésique, téméraire et un peu voyou qui
est à la recherche de son père et n’a pour seul indice qu’une photo, ou
bien encore Sai, le spectre d’une jeune fille à la santé autrefois
vacillante et qui semble avoir subi diverses opérations. Au travers de
ces rencontres, Seto découvrira les raisons qui ont plongé le monde
dans cet état de désolation, le conduisant alors à affronter un
scientifique du nom de Shin.

Vis-tu réellement ?

Fragile
appartient bel et bien au genre du survival horror mais est plus proche
d’un Silent Hill ou un Rule of Rose que d’un Biohazard (Resident Evil)
en étant axé davantage sur l’exploration que sur l’action. Les premiers
pas dans l’aventure, qui se déroulent dans l’observatoire, permettent
d’appréhender en douceur le gameplay et ainsi apprendre à déplacer
Seto. Le jeu opte pour une vue à la troisième personne. À la manière
d’un God Hand, le stick analogique sert soit à mouvoir Seto selon une
direction précise, soit à le faire avancer, reculer ou effectuer des
pas de côté suivant cette dernière. Pour pouvoir le faire pivoter à
droite ou à gauche et ainsi le déplacer librement, il s’agit alors
d’amener avec la Wiimote le curseur présent à l’écran sur ses côtés
droit ou gauche. Ce système de déplacement peut être déstabilisant
durant les premières minutes de jeu mais devient intuitif après un
petit temps d’adaptation. Très vite, le curseur se verra attribuer sa
principale fonction : celle d’être le point de focalisation de la lampe
torche que Seto va prendre avec lui afin d’explorer les ruines.

Premier
constat, les environnements, totalement libres, sont magnifiques.
Fragile est de ces jeux pour lesquels on voit enfin de quoi est capable
techniquement la Wii en matière de 3D. L’aliasing est des plus
discrets, voire totalement absent, et dépourvu de tout scintillement.
Seul un ou deux extérieurs laissent à désirer, notamment le toit d’un
hôtel abandonné, mais cela reste assez rare. L’ambiance fin du monde
est parfaitement retranscrite. Les différents lieux visités ont subi le
poids des années qui se sont écoulées après l’extinction de l’humanité,
sont relativement sales et virent parfois au glauque. L’hôpital de
Fragile, par exemple, n’a rien à envier à celui de la bourgade de
Silent Hill. Le soin apporté aux textures et aux éléments de décor est
palpable, d’autant qu’il est donné la possibilité de passer en vue à la
première personne et de zoomer, le tout en ayant aucune contrainte de
liberté. Il faut parfois prendre le temps de s’arrêter un instant et
d’observer les décors avec la plus grande attention. Non pas que cela
soit utile, mais parce que cela contribue à l’immersion dans cet
univers de désolation. La plupart des murs sont tagués. Les messages
sont généralement les dernières pensées de ceux qui les ont marqués
avant que le drame ne survienne. Namco a de plus glissé dans certains
des clins d’œil comme un à sa série musicale Taiko no Tatsujin,
similaire dans son principe à celle des Donkey Konga, sauf que l’on
utilise comme accessoire un tambour et non des congas. En effet, un des
tags représente la mascotte de la série, un petit tambour avec des yeux
et une bouche. La majeure partie du jeu se déroule de nuit et/ou dans
des environnements confinés. Seule l’exploration de l’hôtel abandonné
se fait de plein jour ; d’où l’utilité de la lampe torche. Fragile
bénéficie d’ailleurs d’un gros travail et d’une attention particulière
sur la gestion de la lumière et des éclairages. Au cours de son
périple, Seto récupérera différentes lampes torche ayant chacune une
certaine spécificité (lire des inscriptions sur les murs autrement
invisibles). Étant donné que les lieux visités sont souvent sombres, il
est nécessaire pour profiter pleinement de Fragile d’y jouer dans le
noir. Pour conclure sur l’aspect technique et esthétique, l’animé
servant d’introduction n’est pas sans rappeler les œuvres de Miyazaki.
Les différentes cinématiques de transition en théâtre d’ombres, servant
de lien entre les différents chapitres de l’histoire, font penser au
Princes et Princesses de Michel Ocelot. Enfin, ceux qui ont fait Venus
& Braves remarqueront quelques similitudes entre son interface et
celle de Fragile.

L’ambiance sonore elle aussi contribue à
l’immersion dans cet univers. Le parti pris des développeurs est en
revanche risqué. Hormis durant les cinématiques, il n’y a aucune
musique dans le jeu à l’exception du thème des combat, une mélodie
lugubre et sinistre jouée uniquement au piano. Dommage que ce thème
n’ait rien de mémorable. Il serait même plutôt raté. Au total, Fragile
compte peut être une dizaine de compositions seulement. Ce choix sera à
nouveau abordé dans la dernière partie du test car il trouve une
justification. C’est donc dans le silence qu’évolue Seto, un silence
parfaitement représentatif d’un monde dénué de vie et dépourvu d’âme.
Il est cependant brisé par le bruit des pas du jeune héros, étouffés ou
amplifiés suivant ce sur quoi il marche, et par divers bruits
s’échappant tous du micro de la Wiimote : murmures, appel à l’aide
d’âmes égarées, complaintes et miaulements de chats, cris, râles et
ricanements de spectres… Une des énigmes du jeu est d’ailleurs basée
sur le son. Tôt dans l’aventure, Seto devra jouer à cache-cache avec le
spectre d’une petite fille et ne pourra se fier qu’au seul son de sa
voix afin de la trouver, rappelant le système de jeu de Enemy Zero.
Pour finir, le jeu est intégralement doublé et les voix collent
parfaitement aux protagonistes et à leur personnalité.

Ainsi les
spectres seront les principaux ennemis de Seto en plus d’animaux
sauvages et de robots. Les spectres ont par contre la particularité de
n’apparaître aux yeux de Seto que s’il les éclaire une première fois
avec sa lampe torche. Autrement, ils demeureront invisibles. Les phases
de combat se déroulent comme dans n’importe quel jeu d’aventure typé
Zelda. Après tout, le survival horror n’est à la base qu’un jeu
d’aventure à vocation horrifique. Seto aura donc à sa disposition
diverses armes pour le combat au corps à corps (tuyau, club de golf,
katana…) et armes de jet (lance pierre, arbalète…). Dans le second cas,
le curseur utilisé pour la lampe torche sert alors de viseur.
Toutefois, il faudra faire attention au degré d’usure des armes. Après
un certain temps d’utilisation ou si Seto se fait trop toucher par
l’ennemi, l’arme qu’il tient à la main devient inutilisable, lui
empêchant d’exécuter des combos.

Les armes, tout comme les kits
ou potions de soin, sont disséminés de part et d’autre dans l’ensemble
des lieux visités. Seto récupèrera aussi différents objets qui lui
permettront de résoudre certaines énigmes. D’autres, en revanche,
permettront de découvrir le passé de leur défunt possesseur, de
partager ce qui fut ses peines, ses joies… Cet aspect de Fragile
rappelle un peu les rêves présents dans Lost Odyssey. On découvrira
entre autre le passé d’un petit garçon qui aspirait à devenir un
éminent botaniste, un médecin d’hôpital dissertant sur l’exigence et le
respect qu’impose son devoir (sacerdoce)… Des lucioles gravitent autour
des objets que Seto peut ramasser afin de les discerner de ceux servant
uniquement de décor. Par contre, comme dans la plupart des survival
horror, le nombre d’objets qu’il peut mettre dans sa sacoche est
limité. Tous sont définis par une forme géométrique occupant l’espace
et ressemblant aux pièces de Tetris. Il s’agit alors de manipuler et
d’imbriquer ces formes afin qu’elles prennent le moins de place
possible. Dans tout le jeu sont éparpillés des feux de camp. Là, il
sera possible de sauvegarder et de stocker les objets que l’on a en
trop. Les feux de camp sont assez nombreux, permettant d’éviter de
faire trop d’aller retour. En contrepartie, le niveau de difficulté
s’en voit diminué.

Pour terminer, le titre propose somme toute
un aspect A-RPG bien qu’il soit très classique et basique. En éliminant
ses adversaires, Seto gagnera des points d’expérience qui lui
permettront de monter en niveau et ainsi augmenter sa barre de vie et
ses points d’attaque, points auxquels s’ajoutent ceux des différentes
armes disponibles. Ils récupèrera aussi une certaine quantité de yens.
Aléatoirement durant les phases de camp, un être étrange avec un
costume à tête de poulet, le « Marchand d’objets », fera son
apparition. L’occasion de lui acheter différentes armes ou potions mais
aussi de lui en vendre si elles n’ont plus d’utilité.

À jamais resteras-tu seul ?

Il
est maintenant temps de passer au crible Fragile, d’en dévoiler ses
qualités et ses défauts qui sont, d’ailleurs, intimement liés,
permettant ainsi de soulever une véritable problématique.

Fragile
présente deux défauts. Le premier concerne les phases de combat qui
s’avèrent assez molles et peu passionnantes. Celles-ci sont d’ailleurs
scriptées avec des ennemis apparaissant sans surprise toujours aux
mêmes endroits. De plus, à cause du système de déplacement, Seto accuse
une certaine rigidité lors de ses actions. Il arrive parfois aussi, à
cause de la vue adoptée à la troisième personne, que l’on arrive mal à
évaluer les distances séparant Seto de ses adversaires. Par ailleurs,
le niveau de difficulté est peu élevé. À titre d’exemple, avec un
niveau d’expérience correct et une bonne arme, le boss de l’hôtel
abandonné peut se tuer en moins de 5 secondes et le boss de fin en
moins de 2 minutes chrono. La montée en niveau d’expérience se fait
d’ailleurs très facilement et rapidement. Il suffit d’éliminer tous les
ennemis se présentant face à soi pour ne pas perdre son temps à
accumuler de l’expérience. Cependant, même si ces tares avaient été
corrigées, cela n’aurait rien apporté de plus pour la simple raison que
les combats ne sont pas l’élément central du jeu, tout au plus un à
côté. Si le titre avait fait la part belle à l’action comme dans un
A-RPG à la Zelda ou un survival horror comme Resident Evil, cela aurait
dénaturé tout ce qui fait l’intérêt et le charme de Fragile.

Le
second et dernier défaut concerne la progression même dans le jeu.
Certes, il ne faudra pas compter moins de quinze heures de jeu pour
voir la fin de l’aventure. Seulement, si les combats sont relativement
faciles, les énigmes ne sont pas non plus légion, d’autant qu’une
majorité d’entre elles consistent à « trouver la clef pour ouvrir la
porte ». En revanche, d’autres sont particulièrement retorses et
demandent un bon sens de l’observation ainsi qu’une bonne ouïe.
Celles-ci risquent donc de mettre les nerfs de certains joueurs à rude
épreuve. La progression est donc des plus aisée, peu d’obstacles
viennent se dresser sur la route du joueur. Comme l’aventure dure
environ quinze heures, même s’il sera parfois nécessaire de retourner
dans un lieu exploré auparavant pour résoudre une nouvelle énigme, la
progression dans Fragile se fait en quelque sorte en ligne droite et
l’on passe donc le plus clair de son temps à explorer de vastes
environnements.

D’où la problématique. Concrètement, Fragile a
peu d’intérêt en tant que « jeu » pour la bonne raison qu’il ne doit
pas être considéré comme tel. Il s’agit à l’inverse d’une expérience
que l’on vit ou que l’on subit et qui peut ou non inciter à une
certaine réflexion. De ce point de vue, Fragile rejoint dans le genre
du survival horror Silent Hill et Rule of Rose (libre adaptation du
roman de William Golding « Sa Majesté des Mouches ») ou, dans un tout
autre registre, des productions comme Killer 7, No More Heroes ou Ico.
Tous ces titres proposent un gameplay il est vrai parfois original, ou
bien alors déjà vu et/ou traité de manière différente, mais qui
finalement n’est que secondaire et sert davantage d’interaction sur un
travail artistique ou un concept donné. Le jeu vidéo en tant qu’œuvre
et non pur divertissement, même si, désormais, la frontière séparant
les deux termes devient de plus en plus floue et imperceptible, comme
c’est le cas pour The World Ends with you. Deux cas de figure : soit
l’on adhère au concept et l’on vit une expérience magnifique, soit ce
n’est pas le cas et le jeu ne présente absolument pas d’intérêt.#row_endLa
force de Fragile ne réside donc pas son gameplay, mais dans tout le
reste : son univers, son ambiance visuelle et sonore mais surtout son
histoire, simple dans son déroulement mais pourtant magnifique, et ses
protagonistes, attachants et bouleversants.

Mes derniers instants seront avec toi.

Note
importante :
cette partie évoque certains des thèmes rencontrés dans
Fragile. Hélas, elle n’est pas exempte de quelques révélations,
notamment concernant le premier chapitre du jeu, consacré à PF. Sa
lecture n’est pas dans l’absolu indispensable mais elle permet de
comprendre et d’expliquer pourquoi Fragile demeure exceptionnel alors
que son gameplay est peu prenant ni emballant. Toutefois, une large
partie de l’intrigue n’est pas divulguée. De même, les inscriptions
gravées sur les murs et les souvenirs faisant référence aux objets
ramassés durant toute l’aventure ne sont pas traités. De plus, la
plupart des thèmes reposent sur du non-dit : silences, expressions
faciales, comportements face à une situation donnée…

Contrairement
à ce que beaucoup crurent jusqu’alors, même s’il se joue comme un
survival horror, Fragile n’en est pas un. En réalité, le titre n’a
jamais eu de vocation horrifique. Et malgré une apparence enfantine,
Fragile traite avec maturité de thèmes universels comme la mort,
l’espoir mais aussi et surtout la solitude. C’est la raison pour
laquelle l’histoire est touchante, elle fait appel à notre propre vécu.
Les protagonistes n’ont rien d’héroïque. Ils sont au contraire
profondément humains et leurs émotions sont très proches de celles que
l’on peut soi-même éprouver.

La solitude, le thème principal
du jeu. Au-delà de son scénario, Fragile est la rencontre entre des
êtres brisés qui errent sans but, qui n’attendent plus rien d’un monde
sans âme, privé de toutes ses merveilles et de ses horreurs. Ils ont
survécu, sont des rescapés, mais pourquoi ? Quel intérêt de survivre
s’il n’y a plus rien, s’il n’y a plus personne ? La mort serait-elle
cruelle ou libératrice ? Dans Venus & Braves, Blood, le héros de
l’histoire, qui est un jeune vampire, maudissait son statut d’être
immortel car il ne supportait pas de voir mourir ceux qu’il aimait au
fil des années et des décennies qui passaient. Là aussi, il était
question de solitude. L’immortalité comme fardeau, le désir de
redevenir mortel pour pouvoir profiter de ce qui lui resterait alors de
vie pour justement vivre, même si cela conduit inéluctablement à la
mort. La mort qui perd alors toute sa dimension effrayante si celui qui
s’apprête à passer de vie à trépas estime qu’il a vécu pleinement sans
regret ni manque. Une vie heureuse, sans toutefois être dénuée de
chagrin, et bien remplie. La mort seulement comme la fin d’un parcours
et le début d’un autre. La mort non pas comme un drame mais comme une
fête pour ceux qui restent s’ils parviennent à partager la même pensée
que le défunt (thème abordé dans le dernier rêve, le Village aux
moulins à eau, du film Yume, Dreams en version américaine, d’Akira
Kurosawa). Dans Fragile, c’est le fait même de vivre qui paraît durer
une éternité et qui ressemble à une sanction. La vie pire que la mort.
PF en est toute l’illustration. En tant que IA évoluée, PF est
consciente de son existence et éprouve comme n’importe quel humain son
désir de communiquer, d’être avec quelqu’un et de ressentir une
chaleur, un bien-être intérieur. Helàs, PF est un poste de
communication portatif, ce qui signifie qu’elle est incapable de se
mouvoir d’elle-même. Depuis le cataclysme, elle est restée au même
endroit, dans le noir et prisonnière de son boîtier de métal. Le noir,
la solitude, tout cela paraît n’avoir aucune fin, tout cela ressemble
aux angoisses que l’on éprouve au sujet de la mort. D’où les appels à
l’aide qu’elle lance désespérément depuis des années… avant sa
rencontre avec Seto.

Malgré tout, même si tous les protagonistes
partagent la peur de demeurer seul à jamais, tous nourrissent un espoir
infime de trouver un jour une personne auprès de laquelle ils pourront
rester jusqu’à la fin. C’est cette infime lueur d’espoir qui motive
Seto à aller de l’avant et à parcourir les ruines. Tout comme c’est
elle qui motive Crow à retrouver son père alors que, pourtant, tout est
contre lui. En étant amnésique, il ne sait où chercher. Il n’a
simplement qu’une photo pour le guider. De plus, vu l’univers dans
lequel il évolue, ses chances de retrouver son père sont infimes pour
ne pas dire nulles. Mais même en étant conscient de cela, Crow trouve
quand même le courage d’avancer pour atteindre son but. Plus qu’une
quête initiatique, il s’agit pour Seto, comme pour les autres, d’une
quête existentielle comme en témoigneront les transitions entre
chapitres durant lesquelles il s’interroge sur ce qu’il vient de vivre
et ce qu’il en retient. Cette quête sur la recherche de soi n’est pas
sans évoquer celle de James Sunderland dans Silent Hill 2, considéré
comme le meilleur épisode de la saga.

L’espoir, Seto va le
retrouver lors de sa rencontre avec Crow dans une fête foraine en ruine
bien qu’elle ne commence pourtant pas sous les meilleurs auspices.
Après s’être quelque peu moqué de Seto, Crow va lui voler son
pendentif, seul souvenir de son grand-père. Seto va donc traquer le
jeune voyou dans tous les recoins et attractions de ce lieu autrefois
plein de vie. Toutefois, bien qu’il éprouve un certain agacement envers
Crow, Seto ne peut non plus feindre la joie d’avoir rencontré un autre
garçon perdu comme lui, surtout après le drame qu’il a vécu juste avant
cette rencontre inespérée. Les deux garçons jouent ensemble, sont
ensemble. C’est là le but recherché par Crow. Le vol et les moqueries
ne sont qu’un prétexte pour forcer Seto à s’intéresser à lui. Après une
course effrénée, Crow rendra à Seto ce qui lui appartient. Il en
profitera aussi pour l’embrasser longuement sur la bouche. On pourrait
alors de manière réductrice voir chez Crow une homosexualité latente.
Crow et Seto sont deux gamins égarés, fragilisés psychologiquement, qui
ont besoin d’affection, de trouver du réconfort et de se sentir en
sécurité. Instinctivement, les deux garçons, en plus d’un lien
d’amitié, tissent une relation protecteur/protégé. Les côtés téméraire
et vaurien que Crow se donne ne sont qu’une façade cachant son mal-être
et son besoin d’amour. En embrassant Seto, il la fait voler en éclat et
se montre alors tel qu’il est concrètement, sans défense. Un baiser
plus fort que n’importe quel mot. Un baiser pour lui exprimer ce qu’il
ressent sur le moment : sa joie, sa souffrance morale, le tout sans
véritable arrière pensée. Ils deviennent des âmes sœurs, des frères
d’infortune. Ce type de relation est similaire à celle qu’entretiennent
Ban et Ginji du manga Get Backers. Une relation pour laquelle la limite
entre l’amour véritable et l’amitié profonde voire fusionnelle est
difficilement perceptible. Une relation qui, alors même qu’elle vient
juste de naître, parvient à combler le vide de leurs existences et à
leur faire oublier toute détresse.

Certains silences sont donc
plus forts que les mots. En cela, la modélisation des expressions des
personnages est exemplaire. Ils n’ont pas besoin de parler pour que
l’on comprenne ce qu’ils ressentent.

Fragile. Fragilité de
l’être mais aussi fragilité de l’existence. À des moments où Seto va
éprouver de la joie vont s’en succéder des tragiques. Ils arrivent
abruptement, font tout basculer et sont particulièrement injustes.
C’est ainsi que se terminera dans la souffrance sa rencontre avec PF, à
la fin du premier chapitre. Alors qu’ils parcourent ensemble les
dédales d’un métro désaffecté, PF cache une vérité à son nouveau
compagnon. Ses batteries seront bientôt à plat. Elle est en train de
mourir mais se refuse à faire de la peine à Seto, tentant de le
rassurer à chaque fois que son état se détériore. Le moment fatidique
finit hélas par arriver. Dans un dernier élan, PF tentera de calmer un
Seto inconsolable et impuissant face à la gravité de la situation en
lui disant qu’elle part non pas dans la douleur mais dans la joie. La
joie d’avoir pu passer ses derniers moments avec quelqu’un, d’avoir
ressenti de la chaleur humaine, de ne pas avoir été seule. Un moment
bref mais intense qui balaie et lui fait oublier toutes ces années de
tristesse. Les yeux embués de larmes, Seto enterrera PF. Il n’y avait
aucune relation homme-machine. PF n’était pas pour lui qu’une simple IA
mais une amie véritable, une confidente avec qui il se sentait bien et
lui redonnait du courage.

C’est après ce drame que Seto
rencontrera Crow mais il en vivra malheureusement bien d’autres. À
croire que dans ce monde silencieux et désenchanté, l’espoir est
interdit et que tout instant de bonheur doit forcément se conclure sur
une tragédie. L’absence de musique durant les phases d’exploration a
pour but de rendre pesant ce silence, de nous faire ressentir le
désarroi de son héros, sa solitude. Quand elle est présente, la musique
reflète le vacillement permanent entre l’espoir et le désespoir. Dans
une même cinématique, elle peut être gaie, joyeuse et devenir l’instant
d’après d’une profonde mélancolie. Elle sert aussi de moment
d‘accalmie. Dans ces moments-là, où l’on entend souvent le thème
principal du jeu, un chat est généralement là. Le chat est l’animal le
plus présent dans le jeu. Probablement parce qu’il s’agit de la seule
espèce à avoir survécu au cataclysme. Les animaux que Seto combat ont
une dimension infernale, ils semblent à la fois réels mais aussi
immatériels. Faut-il voir y voir un clin d’œil au Royaume des chats
des studios Ghibli, comme le fait que certains spectres présentent
quelques similarités avec ceux de Le voyage de Chihiro ? Les chats
apporteront un certain réconfort, une certaine légèreté à l’ambiance
générale du jeu. Le vide ambiant s’en voit perturbé. Seto pourra aussi
jouer avec eux s’il possède de l’herbe à chat. Parfois, ils lui
indiqueront le moyen de se sortir de situations inextricables. Le chat
comme porteur d’espoir ? Si leur présence réchauffe le cœur, leurs
pleurs et gémissements sont eux déchirants.

Après avoir exaucé
les derniers souhaits d’une vieille dame, Seto est accompagné de Sai.
Désormais, il n’est plus seul, même s’il sait qu’elle disparaîtra dès
lors que son âme aura trouvé la paix dans ce monde. Mais la solitude
laisse alors place à une chose tout aussi terrible : le désespoir. Le
désespoir pour Seto de voir la plupart des gens qu’il rencontre mourir
et/ou disparaître, même s’il est conscient du bien qu’il leur a apporté
dans leurs derniers instants. L’impression que mourir est finalement la
seule chose bien qui puisse désormais se produire. Il n’est d’ailleurs
franchement pas aidé par Sai qui fait preuve d’un cynisme et d’une
froideur sans pareille pour cacher et intérioriser sa propre souffrance
(le fait qu’elle soit un spectre implique que son âme n’a pas trouvé la
paix). Cependant, Seto a encore le courage d’avancer. Sa rencontre avec
Crow lui a redonné espoir, il espère le revoir tôt ou tard et puis il
n’oublie pas son objectif : retrouver cette mystérieuse jeune fille
qu’il vit peu de temps auparavant chanter au clair de lune.

Le
désespoir sera donc le thème central de la seconde moitié du jeu. Le
désespoir qui, en toute logique, succède à la solitude, qui en est une
des conséquences. Il est personnifié par le plus vaste environnement du
jeu : un barrage électrique. C’est dans cette une immense
infrastructure qui se dresse tel un colosse immobile que Seto connaîtra
des souffrances pires que toutes celles qu’il a vécu jusqu’alors. À
cela s’ajoute un level design labyrinthique et cauchemardesque. De
longs couloirs sans fin (dont l’un que Seto mettra plusieurs minutes à
parcourir) mal éclairés, d’immenses salles soutenues par des piliers et
dont on ne distingue pas le plafond, le tout dans une ambiance glauque
au possible. C’est d’ailleurs par le biais de ce barrage que Seto
atteindra le repaire de Shin. Les environnements de plus en plus
insalubres tendront vers le malsain jusqu’à l’ultime confrontation.
Affecté psychologiquement par les évènements du barrage, Seto reprendra
néanmoins espoir quelques instants avant cet affrontement.

L’espoir,
la seule chose qui reste à l’homme quand il n’a plus rien et que tout
semble perdu ? La fin douce et amère du jeu s’articule autour de cette
idée et de bien d’autres. C’est aussi durant ces dernières minutes de
jeu que la phrase « Farewell Ruins of the Moon »  prendra tout son sens.

LES COMMENTAIRES
Les commentaires sont désactivés.
Les prochaines sorties

2

MAI.

Surmount

Nintendo Switch - Plate-formes Aventure - Jasper Oprel et Indiana-Jonas popagenda - Jasper Oprel et Indiana-Jonas

9

MAI.

Animal Well

Nintendo Switch - Plate-formes Aventure - Bigmode - Shared Memory

14

MAI.

Biomutant

Nintendo Switch - A-RPG - THQ Nordic - Saber Interactive Experiment 101